“Je voudrais te dire quelque chose d’important.” –
“Chaque fois qu’on parle, j’oublie de te le dire. Je vais le dire maintenant.
Si on me jette en prison à nouveau, ne sois pas triste, ne pleure pas. Surtout ne te culpabilise pas. Je te dis tout cela parce que je sais que tu vas t’en vouloir, tu vas te dire : – On n’a pas fait ceci, on n’a pas fait cela, on n’a pas pu la sortir de là.
Je te promets qu’en prison, je saurai garder le moral au plus haut. Je trouverai de nouveaux moyens, des nouvelles idées pour résister. Parce que les prisons sont aussi des lieux de résistance. Je continuerai à créer. Je t’enverrai plein de dessins et peintures. Mon incarcération ne sera pas un temps mort, des mois, des années perdus pour rien. Et puis, je continuerai à apprendre. Parce que dans les geôles, on apprend tous les jours.
Et tu verras, ma sortie sera splendide !”
Zehra Dogan*
*Zehra Dogan, Les Yeux Grands ouverts, journal d’une condamnation/Chronique d’une exposition, Fage éditions 2017, disponible sur le site Kedistan.
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Ce matin, je n’ai aucune envie de parler de grandes causes, de grandes explications, de grandes théories, ni de grands ensembles mondiaux. Je ne suis pas douée pour les vastes perspectives d’ensemble dans un monde où, à chaque pas, surgissent les irréconciliables.
Je me contenterai de mentionner ici les deux faits retenus contre Zehra Dogan par l’Etat turc pour justifier de sa condamnation à 2 ans, 9 mois et 22 jours de prison.
1er fait: l’Etat turc l’accuse d’avoir fait circuler la lettre d’une petite fille âgée de 10 ans, Elif Akboga, racontant comment, sur les chemins de Nusaybin en Turquie “certains meurent, d’autres sont blessés.” Elle raconte comment les écoles ayant été brûlées, il n’y a plus de cours, “mais vous, continuez à étudier et créez un beau monde.”
2e fait: l’Etat turc l’accuse d’avoir créer et fait circuler un dessin reproduisant à l’identique une photo mise en ligne par la gendarmerie et la police spéciale en Turquie montrant les destructions à Nusaybin. Seule différence: dans son dessin, Zehra dessine les véhicules d’assaut Skorpion en véritables scorpions.
Condamnation: deux ans, neuf mois et vingt-deux jours de geôle.
On dit que le pouvoir absolu corrompt absolument. Je pense surtout qu’il révèle comment les abimes de veulerie se nourrissent de leurs propres turpitudes.
Un dernier fait “divers” pour aujourd’hui, parmi ceux illustrés par Zehra Dogan? Ceci, tiré de son journal du 4 mai 2017: “À Silopi, district de Sirnak, à minuit et demi un blindé de la police plonge dans une maison. Les frères Furkan, 6 ans et Muhammet, 7 ans, ont été écrasés par le blindé dans leur sommeil…Le transfert des enfants à l’hôpital n’a pas été autorisé. Lorsque la famille a enfin pu amener les enfants à l’hôpital, par ses propres moyens, il était trop tard. …Les policiers ont menacé la maman qui hurlait pour qu’elle se taise. Quant au Préfet, pour étouffer cette tuerie, il l’a qualifiée de “destin”.
A chaque pas. A chaque pas, les irréconciliables.
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“I’d like to tell you something important.”
“Each time we talk, I forget to tell you. I’ll tell you now.”
If they throw me in jail again, don’t be sad, don’t cry. Most of all, don’t feel guilty. I’m telling you all this because I know you’ll be angry at yourself, you’ll be saying: – We didn’t do this, we didn’t do that, we didn’t manage to get her out of there.
I promise you, I’ll know how to keep morale at the highest in jail. I’ll find new ways, new ideas for resisting. Because jails are also spaces of resistance. I’ll continue to create. I’ll send you a whole lot of drawings and paintings. My incarceration won’t be a empty time, months, years wasted for nothing. Plus, I’ll keep on learning. Because you learn every day in jail.
And you’ll see, my exit will be splendid!”
Zehra Dogan*
*Zehra Dogan, Les Yeux Grands ouverts, journal d’une condamnation/Chronique d’une exposition, Fage éditions 2017, available on the Kedistan website.
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This morning, I’m not in a mood to talk about great causes, great explanations, vast theories or world-wide outlooks. I’m not gifted from vast global perspectives in a world where, at each step, the irreconciliables spring up.
I’ll settle for mentioning here the two facts the Turkish State held against Zehra Dogan to justify sentencing her to 2 years, 9 months and 22 days in jail.
Fact #1: the Turkish State accuses her of circulating the letter written by Elif Akboga, a ten year-old girl, relating how, on the streets of Nusaybin, “some die, some are wounded.” She writes how, since the schools have been burned down, there are no classes anymore, “but you, keep on studying and create a beautiful world.”
Fact #2: the Turkish State accuses her of creating and circulating a drawing reproducing a photo shared online by the Turkish gendarmerie and special police forces, showing the destructions in Nusaybin. Only difference: in her drawing, Zehra shows the Skorpion assault vehicles as literal scorpions.
Sentence: Two year, nine months and twenty-two days in gaol.
It is said that absolute power corrupts absolutely. Mostly, I think it reveals how abysses of cowardice feed off their own turpitudes.
A last “minor news item” for today, among those illustrated by Zehra Dogan? This, from her diary entry on May 4 2017: “In Silopi, district of Sirnak, at twelve thirty at night, a police armored car plunged into a house. Brothers Furkan, 6, and Muhammet, 7, were crushed by the armored car while they slept…The children’s transfer to the hospital was not authorized. When the family finally managed to bring the children to the hospital by its own means, it was too late… The police threatened the howling mother to make her shut up. As for the Prefect, to cover up the killing, he described it as “fate”.
At each step. At each step, the irreconciliables.