9 octobre 2025

Habituellement, je note les premières pensées du jour ici, avant de regarder les mails ou autres sources d’information sur le monde. J’ai fait exception ce matin, en lisant d’abord la chronique d’André Markowicz sur facebook, et j’ai bien fait. Alors qu’il travaille sur la traduction d’un autre poème d’Iliazd, intitulé Le Brigadiste, sa chronique m’a rappelé un poème du même, écrit en 1938-1939 et qui me fait l’effet d’un parfait résumé du climat social actuel :

«Rencontre vide sur rencontre vide,

au restaurant, aux lustres des salons,

et quel silence lorsque nous parlons, —

du rien contant le rien, de l’air solide.

Les rimes, loin, volètent, se délitent

dans la fumée bleue du tabac blond

qui s’évapore chaque soir selon

le vent et voile votre main perfide.

Un avachissement sans espérance,

sans l’ombre même d’une volonté —

dieu sait quand nous avons périclité...

La biche file dans le bois immense

Le soir s’achève ; votre voix s’avance,

aveugle : “On se revoit demain, je pense. »*

À la chronique en question, j’ai mis le commentaire suivant : Je ne sais plus dans lequel de ses livres Imre Kertész parle de la nécessité d’écrire un roman “atonal”, puisque tous les tons s’avèrent mensongers devant la réalité mensongère (mais Catherine Coquio le cite dans Le Mal de Vérité ou l’utopie de la mémoire). Pour moi, le travail d’Iliazd s’apparente à cette recherche  du ton juste que rend la réalité pour lui,  comme représentant le travail essentiel dans un monde où la fausseté règne à tous les étages. Quête vouée à l’échec ? Vu ce qu’on appelle “succès”, l’échec n’est pas une tare et, dans son cas, vu la qualité de son travail et de ses amitiés, le terme ne s’applique pas.  Et oui, Iliazd, dans l’un de ses poèmes que vous avez traduit et publié chez Mesures en 2020, parlant de “rencontre vide sur le vide”, au restaurant et ailleurs,  du “rien contant le rien”  – résumé parfait des jacasseries  télévisuelles et journalistiques actuelles, dignes d’un  poulailler se divertissant de ses propres émois. “Nous portons les ombres qui nous portent”, écrivez-vous dans Orbe. Je ne peux que souhaiter une longue et bonne  continuation à vous et aux Editions Mesures.

Dans toutes ces “jacasseries de poulailler” – ouh, le renard ! Il arrive ! Il est là ? Oui ? Non ? Ouh ! Attends, je veux voir ! ” L’image qui m’a collé à la rétine hier, ça n’est pas ce que les frères d’armes de ce policier américain étaient en train de faire à une femme dont ils s’étaient emparés sur une rue, en quelque part aux Etats-Unis, et qu’ils traînaient au sol en lui arrachant ses vêtements. Non, l’image collée sur ma rétine c’est celle de son sourire ravi, à ce mec, tout heureux de l’indignation que provoquaient ces agissements chez les passants protestant contre cette indignité. Son sourire. Heureux comme un bébé de quelques mois qui vient de découvrir la merde dans sa couche et trouve vachement amusant d’en enduire les barreaux de sa couchette.

Allez. « Fondre dans la semaine transparente

sans éteindre les lampes du matin…»*

*Iliazd, Oeuvres poétiques, traduction et présentation d’André Markowicz, Editions Mesures, 2020

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