7 septembre 2025

“On”, “ils”, bref les Puissants Anonymes, m’encourageaient à faire des copies de mes originaux préférés, sans jamais refuser ouvertement, je ne le faisais pas parce que je savais qu’une fois les copies déposées sur internet, ils détruisaient les originaux, j’appliquais le “je préfère ne pas” de Bartleby le Scribe de Melville, sans jamais prononcer ces mots, la résistance passive complète, en somme.

Sorte de confirmation de ce rêve, lorsque je regarde sur internet comment on traduit “scrivener” en français, je découvre, non pas une référence à la nouvelle de Melville mais un écran entier de sites vantant un programme de rédaction, qui s’appelle…Scrivener.

Mais je crois que le rêve est une sorte de réponse personnelle à quelque chose que je me notais, hier, au sujet de l’indignation. J’écrivais ceci : “Consciemment ou non, elle suppose que nous avons le sentiment que notre colère, que le soulèvement qu’elle provoquerait fera prendre conscience de sa faute au coupable, qu’il “rajustera le tir”, sinon par sentiment de culpabilité au moins par réalisme. Mais vient un temps – et je crois que nous y sommes – où l’indignation n’a plus le moindre effet dissuasif, parce que les fauteurs se fichent complètement de ce que leurs agissements provoquent d’opposition. Au contraire, l’opposition devient un élément justifiant des agissements encore plus répréhensibles. L’indignation devient une perte de temps et d’énergies nécessaires à la résistance, à un travail de sape constant et déterminé.

En entrevue hier, la professeure de droit constitutionnelle Melissa Murray de la New York University disait qu’en 6 mois, l’administration Trump avait démantelé ce qu’il faudrait au moins 20 ans pour reconstruire. Et il lui reste au moins 3 ans et demi pour poursuivre le travail, sans doute plus, si le régime réussit à instaurer son système “électoral” comme celui des autres états autoritaires où le vote n’est rien d’autre que de la chirurgie plastique masquant une perte totale de contrôle par les gens sur les décisions dont ils subissent les conséquences. Il me semble évident que pour tenir la route, les feux de paille d’indignation doivent se transformer en feux couvant dans le sous-sol, surgissant là où on ne les attend pas.

On s’en approche déjà dangereusement si on n’oublie pas que le vote populaire n’accordait pas la majorité à Trump et que c’est par le contrôle des Grands Electeurs que sa victoire fut confirmée. On travaille déjà à modifier les cartes électorales pour que le “résultat populaire” élimine la voix des opposants – identifiés, ces derniers seront faciles à faire taire, soit par la pression du voisinage, la perte de leur emploi, ou d’autres méthodes.

Pendant que la désorganisation se poursuit ouvertement et sans vergogne en France, et dans les autres démocraties.

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Et après un premier tour des infos : l’excellent article d’Ezra Klein dans The New York Times “Stop Acting Like This is Normal”.

Et l’incroyable pouvoir du faire-semblant. Le faire semblant que l’économie et la politique sont des entités distinctes, alors que la politique ne fait que servir les intérêts d’une économie ne favorisant que les plus fortunés.

Faire semblant que le vote du citoyen en régime démocratique a autre chose qu’une valeur symbolique accordant la légitimité à un groupe plutôt qu’à un autre alors qu’une fois élu, le groupe en question ne tiendra compte que des intérêts dictés par les plus fortunés.

Faire semblant qu’il y aura péril en la demeure si ceci ou si cela, alors que le péril est déjà dans la demeure et des plus actifs dans son travail de démantèlement de ce qui reste de « démocratique » dans les démocraties.

Faire semblant. Comme les tout-petits qui s’imaginent qu’en se couvrant les yeux, ils deviennent invisibles.

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Illustration : dans le parc, les cognassiers et les grenadiers ploient sous les fruits. Rustine fait les vendanges et rapporte des raisins plus suaves que des vins doux longuement élaborés. Quand l’anxiété augmente de niveau, je descends à la rivière, regarder couler l’eau.

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“They”, the Anonymous Powers that Be, encouraged me to make copies of my favorite originals, without ever refusing openly, I didn’t do it because I knew that once the copies were placed on internet, they destroyed the originals, I applied Melville’s Bartleby the Scrivener’s “I prefer not to” without ever pronouncing those words, total passive resistance, in short.

As if in confirmation of this dream, when I look up the translation for “scrivener” in French on internet, I don’t come across a reference to Melville’s short story but a screen full of websites praising a writing app called…Scrivener.

But I think the dream is a kind of personal response to something I noted yesterday, concerning indignation. I wrote as follows : Whether consciously or not, it assumes that we feel that our anger, that the uprising it will will set off will make the guilty aware of his errors, that he will “readjust the aim” if not from a feelin of guilt, at the very least out of realism. But there comes a time – and I think we are in it – when indignation no longer has the slightest dissuasive effect, because the evil doers couldn’t care less if their actions meet opposition. Quite the contrary, opposition becomes an element justifying even more reprehensible behaviors. Indignation becomes a waste of the time and energy required for resistance, a determined and constant job of undermining.

To each his or her own way of achieving this but in an interview yesterday, I heard constitutional law professor Melissa Murray of New York University saying that in 6 months, the Trump administration had dismantled what will take at least 20 years to rebuild, and he still has 3 and a half years to go, possibly more, assuming the “regime” sets up an “electoral” system like that in other authoritarian States where they are nothing but cosmetic surgery covering a total loss of control by the people.

We are already dangerously approaching that point – if we haven’t reached it already – if we don’t forget that the popular vote did not give Trump the majority and that it’s through control of the Great Electors that his victory was confirmed. Work is already underway to gerrymander electoral districts so that the “popular vote” will eliminate the voice of the opponents – thus identified, they will be easy to silence further, through neighborhood pressure, dismissal from their jobs, or other means. It seems obvious to me that in order to last, bursts of indignation must be replaced by the slow burn underground, flaring up where least expected.

While disorganization progresses openly and without shame, in France and in other democracies.

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The illustration : the trees in the park are loaded down with quince and pomegranates. Rustine is working at the grape harvest and brings back grapes as sweet as sweet wines that took years to elaborate. Whenever anxiety starts peaking, I walk down to the river and watch the water flow.

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And after a first look at the news: Ezra Klein’s excellent article in The New York Times “Stop Acting Like This is Normal”.

And the unbelievable power of pretending. Pretending that economy and politics are separate entites, when politics only serve the interests of an economy favoring the wealthiest.

Pretending that the citizen’s vote in a democratic regime is anything more than a symbolic token providing legitimacy to a one group rather than the other when, once elected, said group will only follow those interestest dictated by the wealthiest.

Pretending that the fox is approaching the hen house when, in fact, he is already inside it and actively at work dismantling what is left of “democracy” within democracies.

Pretending. Like very young children who think that by covering their eyes, they become invisible.

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