
L’attitude obséquieuse de tous ces adultes en manque de quelque chose, agissant comme des enfants effrayés, il se mettaient à nous lancer des oeufs, nous étions bientôt dans les oeufs brisés et les coquilles fracassées jusqu’aux genoux, il n’y avait rien de possible pour faire cesser l’assaut, il nous restait à repeindre le navire de l’Etat en noir pirate, avant l’embarquement, il y avait les enfants à se répartir entre nous, après distribution, les enfants 4 et 10 demandaient d’échanger leurs adultes, après consultation, tout le monde était d’accord.
Toujours sur la question du “que faire ?” face aux problèmes d’un Etat de Droit, dont les “droits et devoirs” ne sont plus, pour l’essentiel, que des mots vides aux frontons des édifices publics pendant que certains de leurs supposés défenseurs jouent à s’échanger des paroles vides tout en trahissant et leurs lettres et leur esprit, que d’autres se perdent dans un angélisme éperdu au sujet de la nature humaine, et que la loi du “au plus fort la poche”, de ce fait, met toutes les chances de réussite de son côté.
Exemple parmi tant d’autres : Hier, la Turquie a déclaré rompre tous liens diplomatiques et commerciaux avec Israël et interdire l’atterrissage de vols israéliens sur son territoire, en raison du génocide qui se poursuit à Gaza. Question comme ça, en passant : la Turquie interdit-elle aussi au Hamas de poursuivre ses activités bancaires et commerciales en Turquie et d’y faire séjourner des hauts placés de son mouvement ?
Tous ces masques, toutes ces mascarades et ces faux nez, tout de même.
*
Joseph Brodsky – Comme un flambeau, dans ces ténèbres noires*. Le titre m’a sauté aux yeux hier, à la librairie-café L’Autrucherie, où un auteur-éditeur d’une petite maison d’édition tarnaise venait parler de son travail, du processus de l’édition et des quelques livres que la maison publie chaque année. Son propre roman ne retenait pas du tout mon attention, je lui souhaite de trouver son lectorat. Par contre, il est évident que je vais trouver les sous pour acquérir l’anthologie poétique des oeuvres de Brodsky, de 1961 à 1995, édité par André Markowicz chez Gallimard.
Et, après avoir été invitée à lire à voix haute un poème de Malika Berak intitulé Un Corps, j’ai acheté le fascicule Gaza, un Corps, édité par cette maison, Plan B, logée dans un village tarnais près de la petite commune de Cuq-Toulza. (A voir le nombre de personnes impliquées dans cette maison, je soupçonne plus de la moitié du village de faire partie de l’aventure). Nous fumes deux à être invitées à lire un extrait de ce “tract poétique” et ce qui est devenu tout de suite évident, c’est qu’une lecture à haute voix pour d’autres (ou pour soi-même) n’a aucune chance d’être “entendu” si le texte est lu comme on lirait un article de journal, une notice d’un fournisseur ou un horaire de train. Ce qui donne sens à la voix, c’est la façon dont les images que suscite le texte modulent le rythme et le ton de la lecture, et les pauses, permettant aux autres d’en ressentir quelque chose qui puisse les toucher aussi. Ce qui, d’une certaine façon, répond aussi à mon questionnement intérieur au sujet de ce qui fait la véritable valeur d’un Etat dit “de Droit”. Ce qui permet aux mots d’échapper à leur “état gazeux”, comme le décrivait Imre Kertész.
Le texte qu’on m’a invitée à lire est le suivant :
Un Corps
Un corps
celui de leur désir leur tendresse leur renaissance
ils s’y sont échoués
au terme d’une mésaventure quand ils n’avaient
plus rien à revendiquer
le corps de Gaza
que chacun veut faire sien
un corps à prendre
on se le dispute on se l’approprie et on se
livre à lui
il appartient à qui s’en saisit croit-on
un corps aimé aimant
le long de la mer blanche et sauvage
la passion se réveille
et le goût du crime
ils s’enivrent du parfum de la fleur d’oranger
courant sur la peau de leur bien-aimée
elle les enveloppe de ses bras aimants
rafraîchit leurs fronts aux embruns de la mer
et les conduit par des fonds océans où ils
croisent des créatures fabuleuses
puis charmés par leur belle amante ils
s’endorment
Le corps de Gaza leur est dérobé pendant leur
sommeil
il a suffi d’un instant
Malika Berak**
*Joseph Brodsky, Comme un flambeau dans ces ténèbres noires, Anthologie poétique, 1961-1995, édition d’André Markowicz, Gallimard 2025
**Malika Berak, Gaza, un Corps, tract poétique, Plan B édition, 2025
*
The fawning attitude of all those needy adults acting like frightened children, they started throwing eggs at us we were soon up to our knees in broken eggs and smashed eggshells, there was no way to make them stop, all that was left for us to do was to repaint the ship of State in pirate black, prior to boarding there was the distribution of the children among us, following which children 4 and 10 requested to switch adults, following a consultation, everyone agreed.
Still on the question of “what is to be done” about the problems sociéties under the Rule of Law the “rights and obligations” of which are no longer, for what they are worth, empty words on the front of public buildings while some of their supposed defendors play at exchanging empty words while betraying both the letter and the spirit, while others are lost in wild angelism concerning human nature and that the rule of “the strongest wins all” finds itself de facto with every chance of succeeding on its side.
One example among so many : Yesterday, Turkey declared it was breaking off all diplomatic and commercial links with Israel and forbidding the landing of Israeli flights on its territory, because of the genocide being perpetrated in Gaza. So, in passing, a question : did Turkey also forbid Hamas of pursuing banking and commercial activities in Turkey and of settling high ranking members of its movement in that country ?
All thesemasks, mascarades and fake noses, really.
*
Joseph Brodsky – Comme un flambeau, dans ces ténèbres noires. The title (Like a torch in the pitch-black darkness) immediately caught my eye yesterday, at the bookstore-café L’Autrucherie, where an author/publisher from a small publishing venture in the Tarn came to speak of his work, of the editing process and of the handful of books they publish every year. His own novel did not hold my attention, I wish it every chance of finding its readership. However, it is obvious that I will find the money needed to acquire the anthology of Brodsky’s poems from 1961 to 1995, edited by André Markowicz for Gallimard.
And after being invited to read an excerpt from poems by Malika Berak in a booklet titled Gaza, A Body, I read the poem Un Corps (A Body). There were two of us in the audience invited to read an excerpt of this “poetic handout” published by, Plan B, the tiny publishing venture located in a tiny village next to the just-as tiny townlet of Cuq-Toulza. (From the number of people involved in this house, I suspect more than half the village is involved in it). What became immediately obvious was that when reading aloud for others (or for one’s self), you have no chance of being “heard” if the text is read the way one would read a newspaper article, or a service provider’s notice or a train schedule. What gives meaning to the voice is the way images suggested by the text modulate the rhythm and the tonality of the reading, and the pauses, allowing others to experience something that may touch them also. Which, in a way, also answers my inner interrogations concerning what gives true value to a State said to be conducted “under the Rule of Law”. What allows words to escape their “gaseous state”, as Imre Kertész described it.
I rarely attempt this but the text I was asked to read went something like this :
A Body
A body
the one of their desire their tenderness their rebirth
they beached there
following a misadventure after which they no longer had
anything left to claim
Gaza’s body
that everyone wants to make his own
a body to be seized
over which they fight, they claim ownership and to which
one gives one’s self
it belongs to whoever takes hold of it
or so it seems
a loved a loving body
along the white and raging sea
passion aroused
and a taste for crime
Drunk on the orange blossom perfume
wafting off the skin of their beloved
she embraces them in her loving arms
refreshes their forehead with the salt spray
and guides them to the depths of the sea where they
encounter fabled creatures
then entranced by their beautiful lover they
slumber
Gaza’s body is stolen from them
while they sleep
It only took a moment.
Malika Berak
faux nez et mots vides dit par des perroquets compassés d’un côté, paroles vraies (souffle, échange, écoute, partage..) de l’autre
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“perroquets compassés”, je retiens l’expression, à côté des “bachibouzouks” chers au capitaine Haddock (mais qui étaient, au départ des “mercenaires de l’empire ottoman possédant un sens très faible de la discipline” 🙂
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“un très faible sens de la discipline” …ce qui se dirait “un sens aigu des opportunités à saisir” dans la langue gazeuse des perroquets compassés 🙂
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Tout à fait.
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