
(Paul Klee)
rêves : dans les rapports, on ne faisait plus état des commentaires honnêtes; une femme marche, traverse des rues, les voitures ralentissent pour la laisser passer, elle sait qu’un jour une voiture ne ralentira pas pour elle, mais elle marche quand même d’un pas tranquille et assuré ; ils étaient de plus en plus nombreux à se tasser sur le banc de l’autre côté de la table pour réviser leurs devoirs avec elle.
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Vous êtes assise quelque part, loin de chez-vous. Vous regardez des images qui défilent sur votre téléphone. L’une passe rapidement, vous revenez à cette image, vous la bloquez pour mieux la regarder. Ce que vous voyez c’est un quartier bombardé – l’immeuble où vous habitiez, la crèche et l’école que fréquentaient vos deux filles. Les collègues de travail avec lesquels vous opériez un commerce de produits bio ont exigé que vous leur revendiez votre part du commerce parce que vous êtes une “traître”, ayant quitté le pays pour mettre vos deux filles à l’abri. Et vous vous appliquez à apprendre une nouvelle langue, vous acceptez de faire les ménages dans une école, et vous tentez de préserver un minimum de sérénité, le temps que vos deux enfants s’intègrent, s’adaptent, se fassent de nouvelles amies.
Elle avait préparé un gâteau (en plus d’un canard au four, de boulettes à l’ukrainienne, de salades…) parce qu’en Ukraine, le 1er mars marque le premier jour du printemps. Arrivées un peu tôt dans le village de Vielmur, une amie et moi nous étions assises au bord de l’Agout (on prononce le t final), et elle avait inventer le verbe se feuillir à la vue de deux grands saules pleureurs couvrant leurs longues branches tombantes de feuilles toutes neuves et j’ai chanté la chanson cajun “l’arbre est dans ses feuilles, mari-la don-dé”. Des primevères jaunes semblaient jaillir littéralement devant nos yeux.
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Vika me dit qu’elle aimerait m’emmener à Odessa après la guerre, me montrer la ville, puis, elle se reprend. Non, la ville ne sera plus son Odessa, qu’elle soit toujours ukrainienne ou tombée aux mains des russes; non seulement à cause des bombardements et des reconstructions qui s’ensuivront, mais en raison de l’afflux des réfugiés (ou de Russes) qui en auront complètement modifié le caractère. Et nous convenons que, parfois, il vaut mieux garder les souvenirs heureux d’un lieu qu’on a aimé, plutôt que de le retrouver, dénaturé.
Je pense au poème d’Anna Akhmatova (la 6e Élégie) qui commence par “les souvenirs passent par trois époques” et se termine sur
Nous ne reconnaîtrions plus les morts
Et ceux dont Dieu aura voulu qu’ils vivent
sans nous revoir ont fait leur vie – et tout
est pour le mieux.
Écrit en 1945 dans l’immeuble donnant sur la rivière Fontanka qui traverse St-Pétersbourg.
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Dimanche. La tête déborde. Besoin de repos.
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dreams : honest comments were no longer recorded in reports; a woman walks, crossing streets, cars slow down to let her go by, she knows that one day, a car will not slow down for her but she walks in a calm and self-assured step anyway; they were constantly more numerous to crowd onto the bench across the table to revise their homework with her.
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You are sitting somewhere, far from home. You are looking at images streaming by on your phone. One goes by quickly, you backtrack and freeze the image to examine it better. What you see is your bombed out neighborhood – the building in which you lived, the kindergarden and the school your two daughters attended. Your colleagues with whom you operated a natural food store demanded you sell them your share of the business because you are a “traitor” who left the country to put your daughters out of harm’s way. And you do your best to learn a new language, you accept a job as a cleaning woman in a school, you attempt to preserve a minimum of serenity, while your two children integrate, adapt, make new friends.
She had baked a cake (along with a roast duck, Ukrainian-style meatballs, salads) because in Ukraine, March 1st marks the first day of spring. Having arrived a bit early in the village of Vielmur, a friend and I had sat on the shore of l’Agout (the final t is pronounced with makes the word sound like a drop in French), where my friend invented the verb se feuillir (to leaf itself) at the sight of two tall weeping willows covering their long drooping branches in brand new leaves and I sang the cajun song “l’arbre est dans ses feuilles, mari-la don-dé” (the tree is in its leaves, hey-ho-the-merry-oh). Yellow cowslips seemed to appear before our eyes.
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Vika tells me she would love to take me to Odessa after the war, to show me her city, then takes it back. No, the city will no longer be her Odessa, be it still Ukrainian or fallen to the hands of the Russian; not only because of the bombings and reconstructions that will follow, but also because of the influx of refugees from Dombas and Lugansk (or of Russians) who will have entirely modified its character. And we agree that, sometimes, it’s better to keep ones happy memories of a place we loved, rather than to find it again, denatured.
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I think of Anna Akhmatova’s poem (the 6th Elegy) that begins on the words “memories go through three periods” and ends with the knowledge one would not even recognize one’s dead ones and as for those God had willed to live on without seeing us again, will have lived their life – and all will be for the best.
Written in 1945, in the building giving out of the Fontanka River that winds its way through St-Petersburg.
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Sunday. The head is full. In need of rest.