
Dans un message privé qu’elle m’adressait hier, ma fille parle de “nameless dread” – ce qui se traduit bêtement par une peur sans nom mais que je qualifierais plutôt d’angoisse obscure. Je sais que ma fille ne s’intéresse en rien à ce qui est politique, c’est même l’une de nos différences fondamentales. Il y a l’angoisse au sujet de son père malade et vieillissant en Israël, bien sûr, mais aussi – de cela je suis profondément convaincue -le ressenti d’une angoisse ambiante, sourde, muette, aveugle, impalpable pour qui ne consulte ni les journaux, ni les analyses, ni les commentaires à leur sujet.
J’ai lu son message au sortir d’un rêve qui parlait, comme ils le font tous ces jours-ci, de départs (cette fois, encore, l’avion avait Israël pour destination où il était entendu que je vivrais dorénavant.)
La brève d’hier dans laquelle l’Egypte menaçait de suspendre les Accords du Camp David, si Israël ouvrait la frontière de Gaza donnant sur son territoire m’a fortement impressionnée, de toute évidence, ces accords ayant déterminé mon travail à Tel-Aviv de 1979 à 1982. Les jours de détricotage. Si on vit suffisamment longtemps…
Hier, l’après-midi fut consacré à la lecture d’Andréïev – Le Roi Famine, d’abord, puis la relecture de la postface d’André Markowicz dans La Vie de L’Homme, avec l’impression que ces personnages du Roi Famine, de l’Homme Gris, mais aussi celui de Sa Clarté dans Requiem étaient tous des incarnations d’avatars issus de la zone trouble, la zone de cette peur toujours disposée à la trahison-soumission devant la force brute.
En matinée, sur le marché, j’avais croisé un homme que je n’avais pas revu depuis des mois. Lui et son épouse sont famille d’accueil pour des enfants dont les expériences de vie, à 7, 8 ans, sont telles que la plupart des adultes ne peuvent s’en faire une idée que par les films ou les romans. À nouveau il a blagué, disant qu’il déposerait l’un des gamins chez-moi, puis il a parlé de l’un dont j’avais suivi la scolarité il y a de cela des années déjà. (Ça va pour lui; ça va.)
Dans le rêve, cette nuit, c’était un petit parmi ceux-là, mais plus jeune encore, qui devant l’énervement de la rêveuse à la veille du départ, venait gentiment l’enlacer. Il comprenait, lui, de quoi cette angoisse était composée.
*
Là où les enfants s’amusent. Je n’ai réussi à lui ajouter qu’une seule phrase, hier.
*
In a private message my daughter sent me yesterday, she speaks of a nameless dread – a fear without a name, that I would qualify in French as an obscure anguish. I know my daughter has no interest whatsoever in politics, this is even one of our basic differences. There is anguish about her ill and aging father in Israel, of course and – of this I am deeply convinced – but also the sense of an ambiant anguish, deaf, mute, blind, intangible for someone who does not read the papers, or the analysts, or the comments about it.
I read her message while emerging from a dream that was about departures, as they all seem to be these days (again, the plane was headed toward Israel, where it was understood I would be living from now on.)
The brief news items yesterday in which Egypt was threatening to break with the Camp David Agreements should Israel open the border out of Gaza into Egypt surely made a strong impression on me, given that those Agreements were the basis of my employment in Tel Aviv from 1979 to 1982. The days of unravelling. You live long enough…
Over here yesterday afternoon was spent reading Andreyev – King Famine, first, then a re-reading of the André Markowicz’ postface to Man’s Life, with the feeling that the characters of King Famine, of the Grey Man, but also of His Clarity in Requiem were all incarnations of avatars emerging from that murky region of fear, the one always open to treasonous yielding in front of brutal strength.
At the open market in the morning, I had come across a man I hadn’t run into for months. Him and his wife are foster parents to children of 7, 8, whose life experiences are such that most adults cannot imagine them other than as events occurring in films or novels. Again, he joked about dropping one of them off at my place and mentioned one whose schooling I had followed, years ago. (Things are OK with him; things are OK.)
In the dream, last night, such a child, but even younger, sensing the anguish of the dreamer on the eve of departure, came forward and gently embraced her. He understood what that anguish was made of.
*
Where the Children Play – I only managed to add one sentence to it yesterday.
keeping the memory and the feeling of the embrace alive. A grounding.
LikeLike
exactly
LikeLike