12 novembre 2022

Le weekend se transforme en rdv Ukraine local – avec un morceau de famille aujourd’hui, et avec sa demi-soeur demain, et peut-être les deux ensemble. L’une qui n’a plus rien, comme dans rien de chez rien, qui l’attend là-bas et songe sérieusement à refaire sa vie ici; l’autre qui, au contraire, espère encore retrouver sa maison et ses proches en vie, et ne se voit pas vivre de façon permanente en France.

Dans les deux cas, les cours élémentaires de français n’ont pas été suffisants pour qu’elles puissent trouver du travail à la hauteur de leurs compétences professionnelles (toutes deux sont ingénieures); il y a la question des enfants aussi, plus ou moins intégrés dans leur nouveau milieu.

Compliqué. Nous verrons ensemble demain si je peux contribuer à accélérer le processus d’acquisition d’un français en rapport avec leurs intérêts réels. Présentement, nous nous parlons dans un charabia composé de russe, d’anglais et de français de base. Et le recours à une application de traduction sur un téléphone quand le vocabulaire fait défaut.

Elles ont eu une chance formidable de tomber chez un paysan fortuné qui a transformé la ferme de ses ancêtres en gite – il les héberge gratuitement depuis plus de six mois et il leur a donné jusqu’en mai prochain pour se reloger ailleurs. Le choix de ville n’est pas évident, en fonction des âges des enfants et des orientations professionnelles.

La vie, quoi, avec ses complications, mais dans un contexte où l’on se retrouve avec ses trois premières décennies de vie éradiquées question de lieu, de voisins et de connaissances, et avec ses projets d’avenir réduits à néant. Construire, reconstruire, relier des fils qui peuvent encore l’être, faire des noeuds dans ce qui s’effilocherait pour rien sinon.

Ils sont des millions dans leur situation. Certains sont sympas, d’autres, pas du tout. Certains n’ont plus l’énergie – ou la retrouveront plus tard, qui sait ? Je pense ici à une autre ukrainienne qui a dû d’abord quitté sa maison familiale dans le Dombas, pour se réfugier à Marioupol, s’en extraire de peine et de misère, et qui se retrouve ici maintenant, vidée, à bout de tout. Peut-être fera-t-elle comme l’avait fait Aharon Appelfeld au sortir du camp de concentration dont il s’était évadé en 1940. L’histoire qu’il raconte dans le roman Le garçon qui voulait dormir *s’inspire de la longue période durant laquelle il n’arrivait pas à s’arracher au sommeil, seul lieu où il pouvait lentement, si lentement, se reconstituer, en état de vivre.

Journée chargée. Trop fatiguée pour traduire.

*Aharon Appelfeld Le garçon qui voulait dormir, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, Éditions de l’Olivier, 2011

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