
On m’a à nouveau fait don d’un livre usagé en anglais. Celui-ci se prétend un polar mettant en scène des espions dans le Berlin de la guerre froide. Publié en 1964. il avait paru sur les listes des meilleurs vendeurs du New York Times qui l’avait qualifié de “férocement cool” (sic). L’auteur aurait dû lire quelques Le Carré, mais apparemment les lecteurs (et les critiques) n’étaient pas trop exigeants.
Par courtoisie, j’en lis un peu, mais c’est un tel compendium d’invraisemblances que j’abandonne les personnages à leur triste sort entre les mains d’un auteur qu’on avait dû complimenter pour son talent avec les comparaisons et les métaphores, à en juger par le charabia suivant: “Birds were still singing in the trees that stood across the major surgery of sunset like massed artery forceps.” (‘Les oiseaux chantaient encore dans les arbres face à la chirurgie majeure du couchant comme une masse de forceps artériels.’). Je ne saurais dire si les forceps font référence aux arbres, aux oiseaux ou à des nuages cramoisis dans le flamboiement du couchant. De plus, l’auteur utilise le vieux truc des inventaires inutiles pour rallonger la sauce – liste des meubles, bibelots, vêtements dans la penderie et cetera. Bref, les pages serviront de support à collages, cet ‘oeuvre’ inspirant l’utilisation de l’illustration aujourd’hui – même si les rimeurs de façade ont pour eux le mérite d’une forme de sincérité.
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au marché du jeudi, j’ai croisé B qui “s’est autorisée” deux minutes de pause puisque son compagnon avait l’oeil sur le gamin fracassé dont ils ont la charge présentement. (Pour comprendre ce que veut dire “gamin fracassé” dans ce cas précis: lorsqu’il veut approcher un chien en laisse et que le maître du chien assure qu’il n’y a rien à craindre, le chien n’est pas méchant, elle a envie de répondre: “je ne crains pas pour l’enfant, je crains pour le chien.”) Nous convenons que le plus gros problème de beaucoup de gens, c’est qu’ils n’ont pas connu assez de misère. Pas évident, mais la bulle trop protectrice prépare fort mal à la vie adulte. (Non, je ne veux pas dire que les enfants devraient être ‘fracassés’, bien au contraire.)
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Réveil dans la confusion d’un de ces rêves de départ imminent et mal préparé. Ayant abandonné le roman calamiteux mentionné ci-haut, je relis Oncle Vania. Ecrit en 1897. Astrov: “
« L’homme a été doué de raison et de force créatrice pour multiplier ce qui lui était donné, mais, jusqu’à présent il n’a pas créé, il a détruit. Les forêts, il y en a de moins en moins, les rivières tarissent, le gibier a disparu, le climat est détraqué, et chaque jour, la terre devient plus pauvre et laide…»
Auparavant il dit: « ceux qui vivront dans cent ans, deux cent ans, et à qui nous frayons la voie, s’ils viennent à penser à nous, est-ce qu’ils penseront du bien de nous? Eh non, nourrice, ils ne penseront pas de bien.»
(La nourrice répond:« Les hommes – non, mais Dieu – oui.» Astrov s’en voit consolé. Moi pas.)*
*Anton Tchekhov, Oncle Vania, théâtre traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan, Babel Actes Sud 1994
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Réunions, encore une vaccination pour ce qu’elle vaudra, et ce soir, dans le jardin de Steffie Bayer :

Once again, I’m offered the gift of a second hand book in English. This one claims to be a spy story taking place in the Berlin of the cold war. Published in 1964, it made The New York Times list of top sellers, where it was called “ferociously cool” (sic). The author should have read a few of Le Carré’s but apparently neither the readers (or the critics) were too demanding.
Out of courtesy, I read a bit but it’s such a compendium of implausibilities that I leave the characters to their unhappy fate at the hands of an author who must have been complimented for his talent with comparisons and metaphors, considering the following gobbledygook: “Birds were still singing in the trees that stood across the major surgery of sunset like massed artery forceps.” I’d be hard pressed to say if the forceps refer to the trees, to the birds or perhaps to stray crimson clouds lit up by the setting sun. Moreover, the author uses the old trick of unnecessary inventories to stretch the gravy – lists of furniture, knick-knacks, clothes in the closet etc. In short, the pages will serve as background for collages and the ‘opus’ inspired the use of the illustration above – even if the wall scribblers have a form of sincerity going for them.
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At the Thursday market, I crossed paths with B who “allowed” herself a two-minute pause since her companion was keeping an eye on the shattered kid currently in their care. (To understand what “shattered kid” means in this specific case: when he wants to approach a leashed dog and its owner assures there’s nothing to fear, the dog isn’t nasty, she feels like answering: “I have no fears for the child, I fear for your dog.”) We agree on the fact the biggest problem for many people is the fact they haven’t experienced enough misery. It’s not an obvious thing maybe, but an overly protective bubble is not good preparation for adulthood. (No, I don’t mean kids should experience ‘shattering’, quite the opposite.)
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I wake up in the confusion of one of those dreams of imminent and ill-prepared departure. Having chucked the disastrous novel last night, I started re-reading Uncle Vania. Written in 1897. Astrov says:
«Man was given reason and creativity in order to multiply what he had been given but, up until now, he has not created, but destroyed. Of forests, there are less and less, the rivers are drying up, wildlife has disappeared, the climate is out of tune, and every day, the earth becomes poorer and uglier…”
Earlier he says: « those who will live in a hundred, two hundred years and whose road we are opening, if ever they think about us, will they think well of us? Oh no, nursemaid, they will not think well.”
(The nursemaid answers “Men – no, but God – yes.” Astrov finds this consoling. I don’t.)
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Meetings, yet another vaccination for what it’s worth. This evening, in Steffie Bayer’s garden:
