Recettes/Recipes

Il arrive qu’on utilise un événement marquant de sa propre vie dans un récit. Ça ne rend pas l’écriture plus facile, bien au contraire car, à moins de vouloir faire un texte autobiographique (tel n’est pas mon propos), cet élément doit nécessairement déboucher sur “autre chose” – soit une évolution ou une conclusion différente de celle vécue “dans la vraie vie”…et qui tienne compte de l’âge et des possibilités d’action du personnage fictif. Je n’ai aucun talent pour le tricot, mais c’est un peu comme de dé-tricoter un chandail pour utiliser la laine autrement.

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“Au moins, vous parlez français, vous.” C’est avec ces mots que le fonctionnaire m’avait accueillie dans son bureau lors de mon plus récent renouvellement de titre de séjour. Puisqu’au moins, je parlais français, moi, il s’était épanché sur ses difficultés. Une journée qui avait si bien commencé avec son jogging matinal, température idéale et puis là: que des emmerdes depuis qu’il était arrivé au boulot. La photocopieuse et l’imprimante déconnaient, sa collègue avait pris un autre congé maladie (“elle pense qu’on ne le connait pas, son médecin, peut-être”) et là…j’avais vu la file d’attente, est-ce qu’il avait au moins droit à un interprète ? Même pas. Après quoi, il a épluché mes documents, en a refusé certains qui étaient parfaitement valables. Bref, il a profité du fait que moi, au moins, je comprenais le français pour donner libre cours à sa mauvaise humeur devant quelqu’un qui en comprenait chaque mot.

Du coup, j’imagine comme son frère jumeau le fonctionnaire qui a refusé la demande urgente d’accueil d’une jeune afghane menacée par les Taliban pour avoir travaillé pour les militaires français dans son pays. Accueil refusé au motif que les menaces ne lui semblent pas particulièrement au fonctionnaire, pas si urgentes que ça, ni détaillées, ni directement en lien avec son emploi. Les Taliban avancent sur son secteur ? Oui, bon, comme disait l’autre à un autre demandeur d’asile: vous pouvez toujours déménager dans un autre secteur, non ?

Suivant !

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Quand on n’a pas de télé, et même si internet est truffé de pubs, il est facile d’oublier à quel point le matraquage est incessant avant, pendant, durant et dans les émissions elle-mêmes. On remplacerait les slogans des marques (et leurs messages délirants) par des séquences de communication de l’époque hitlérienne ou stalinienne qu’on se dirait “ces pauvres gens, comment pouvaient-ils avoir une seule pensée non contaminée par la propagande. Comme c’est atroce.”

Programmes de “re-looking” – de soi, de son appartement, de sa maison. L’hyper-émotivité est au rendez-vous. Ne pas s’étonner si les enfants sont hystériques – animateurs et parents leur donne l’exemple: on trépigne d’excitation, on hurle de joie et on sanglote de bonheur (attention! ton rimmel va…ah non, il est anti-coulures, iouf.)

Et moi, coeur de pierre comme toujours, je me demande ce que donnera la visite dans cinq ans de la maison refaite en six jours, sans que le béton n’ait le temps de se “faire”, et quand les habitants n’en pourront plus de la déco criarde “made for TV-land”. Je sens que ça va trépigner de rage, hurler de colère et sangloter de dépit. Et tous ces voisins les applaudissant devant les caméras ? Il me semble les entendre déjà quand les tuiles s’envoleront du toi: “Bien fait pour eux, ça leur apprendra à se la péter devant les autres.”

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Le récit, lui, avance phrase par phrase, en ce moment. Quant aux recettes pour les tomates cueillies dans le jardin ? Facile: on cueille, on croque, on savoure, on avale. Pas de sel, pas d’huile, par d’herbes de Provence ? Pas de quiches, de flans, de cakes? Pas de jeune couple tombant dans les pommes, oh pardon, dans un océans de jus de tomates dans leur petit nid d’amour ? Pas de larmes???

Rien de tout ça. Que des tomates, à la main, encore chaudes de soleil.

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It sometimes happen that you use an important event from your own life in a story. This does not make the writing any easier, quite the opposite because, unless you’re aiming for something autobiographical (which isn’t my intention), this element must necessarily lead into “something else” – either an evolution or a conclusion different from the one experienced “in real life”…and one that takes into account the age and possibillities for action of the fictitious character. I have no talent as a knitter but the job is something like un-knitting a sweater in order to use the wool in a different way.

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“You speak French, at least.” Those were the words with which the civil servant greeted me at my last visit to renew my residency permit. Seeing as at least, I spoke French, he felt he could pour out the hardships befalling him. And after the day had started so well with his morning jogging in ideal weather. Then, the crap had landed the minute he’d set foortin the office. The photocopier and the printer were going haywire, his colleague had called in sick again (“does she think we don’t know the name of her doctor, maybe?”). And now…had I seen the line-up outside his office? Was he at least allowed an interpreter? Not even. After which he gave me a hard time, refusing some documents although they were perfectly valid; there was nothing personal about it, but seeing as I , at least, understood French, he could express his bad mood to someone who understood every word.

Which means I have the feeling of reading about his twin brother when I see that a young Afghani woman who worked for the French army in her country was refused an emergency request for asylum because the civil servant felt the threats were not particularly urgent, nor detailed, nor directly a consequence of her employment. The Taliban were moving into her area? Well, as another one said to a person seeking asylum: you can always move to a different zone, can’t you?

Next!

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When you don’t own a TV, and even if internet is loaded with ads, it’s easy to forget the extent to which people are under constant attack, bombarded before, during, after, and even within the content of the programming itself. If you were to replace all the slogans and jingles from the various brands with bits of communication from the Hitler or the Stalin era, you would say “those poor people, with what they were subjected to, how could they keep a single thought that wasn’t contaminated by propaganda. How terrible.”

Shows on re-looking – your person, your apartment, your house. Hyper-emotionality is the order of the day. Don’t be surprised if the children are hysterical – the animators and the parents show them the way: you stomp your feet from excitement, you howl from joy, you sob from happiness. (Careful, your eyeliner will r…oh, that’s right, it’s smudgeless. Phew.)

And I, stone-hearted as always, can’t help wondering what the visit would be like, five years down the road in a house rebuilt in six days, without the concrete having time to cure, and when the residents won’t be able to stand the loud colors “made for TVland”. I sense there will be some stomping with rage, howling with anger and sobbing with spite. And all those neighbors, cheering for them on camera? Five years later when the roof shingles fly off? I can hear them already, saying “bunch of show-offs, I hope that teaches them a lesson.”

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Meanwhile, the story moves forward, sentence by sentence. As for recipes for garden-picked tomatoes? Easy: you pick, you bite, you savor, you swallow. No salt, no oil, no herbs from Provence ? No quiches, flan, cakes? No young lovers falling into a sea of tomato juice in their little love-nest? No tears???

Nope. Just tomatoes, eaten out of hand, still warm with sunshine.

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