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Main courante

” L’antiquaire a installé dans sa boutique les restes grandioses d’une pharmacie. Un présentoir mural à bocaux décoratifs pour  poudres et liquides thérapeutiques surplombe la ligne de démarcation séparant les marchandises  (encore là) d’une clientèle (disparue). Un gros livre relié à dos toilé renforcé  traîne sur le comptoir  entre la balance à plateaux, ses poids en laiton rangés dans l’ordre des grammes et milligrammes, et la caisse enregistreuse à carrosserie ouvragée. Le registre du pharmacien. Que j’ouvre. Des colonnes d’écriture au galop : des noms de médecins probablement du Hainaut, Léonard, Thévenet, Renotte, des transcriptions au jour le jour d’emplettes et ordonnances :

eau sédative                      aloès

pierre d’alun                    pot Rivière

gaze neutre                      huile de ricin

moutarde                         chloroforme

cocaïne                             bandage

ouate                                 malaga

eau de vie camphrée     collodion

granulés strychnine       laudanum

limonade rose                 amadou,

furent alignés de juin 1903 à décembre 1904.

“Combien, ce livre ? ” Réponse : “Monsieur, cette main courante fait partie d’un ensemble.” J’eus beau dire que, peintre, souvent je dessine sur des cursives d’une autre époque, histoire d’échapper à la page blanche.

Des années plus tard, j’avise en vitrine un encrier taillé dans la pierre, des bâtons d’encre séculaires, deux ou trois pinceaux de Chine. Je pousse à nouveau la porte. L’antiquaire sans un mot farfouille dans un tiroir, puis : “Cette pharmacie…Un cinéaste voulait le tout. Il a tout eu, sauf ce registre, le voici, il est à vous.”

Pierre Alechinsky dans Alechinsky de A à Z, Gallimard 2007

 

 

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