30 novembre 2025

Je tiens ce blog en ligne depuis 2016. Non, je n’y “partage” pas tout. Je m’y exerce plutôt à trouver, non seulement les bons mots mais dans le bon ordre, pour exprimer comment mes pensées s’organisent au réveil. Parfois, je “triche” en notant sous forme manuscrite des morceaux du puzzle particulièrement difficile à assembler dans l’ordre qui s’impose. Ce fut le cas ce matin; je suis réveillée depuis plus de trois heures, il est 5:37, je crois que les réflexions et le texte manuscrit que j’ai écrit “hors-ligne” s’approchent de ce qui se joue dans une partie cruciale des non-dits — et non disables, tant que les mots ne sont pas les bons, ni placés dans le bon ordre. Travail d’une vie entière, peut-être.

Dans le tout à fait disable, que le public soit restreint ou pas : je me rends compte, à 79 ans, que c’est la première année où je ressens la vieillesse de façon concrète et objective. Comme si, en parcourant une très grande maison, je venais d’ouvrir la porte — non pas sur la petite pièce interdite de Barbe Bleue — mais sur la personne que je suis, en état de vieillesse. Une étape différente dans la façon de se ressentir, soi-même, les autres et le monde autour de soi. Dans sa conclusion à La Mélancolie de la résistance, l’autre jour, Krasznahorhai mentionnait que nous portons notre mort en nous, et de la façon dont il l’écrivait, c’était comme la pièce finale dans sa démonstration du lugubre de l’existence. Ça n’est pas la partie la plus rigolote de l’aventure, j’en conviens, mais parfaitement respectable;, si elle a l’occasion de se présenter de façon normale, elle est là, tout simplement à préparer son entrée en scène pour faire de la place à autre chose. Evidemment, je ne parle pas des horreurs infligés aux vivants dont ce n’était ni l’heure ni la façon correcte de mourir. Je parle tout simplement du mouvement du “tout naît, tout change, tout se transforme” quand on permet aux événements de suivre leur cours. Mourir correctement, c’est tout.

Et puis, mon compagnon de chevet, en ce moment, c’est celui-ci

“L’aurore aux doigts de rose a cassé ses crayons de couleur. Ils gisent aujourd’hui comme de jeunes oiseaux, avec des becs béants et vides. Cependant tout absolument me semble contenir les arrhes de mon délire favori en prose.” Ossip Mandelstam Le Timbre égyptien, 1928*

*Ossip Mandelstam, Le timbre égyptien, traduit du russe par Georges Limbour et D.S. Mirsky, préface de Ralph Dutli, postface de Clarence Brown traduite par Véronique David-Marescot, Le Bruit du Temps 2009.

*

I’ve been keeping this online blog since 2016. Non, I don’t “share” everything on it. Rather, I exercise with it in finding, not only the right words but in the right order in order to express how my thoughts organize. Sometimes, I “cheat” by jotting down in manuscript form pieces of the puzzle that are particularly hard to assemble in the correct order. Such was the case this morning; I woke up more than three hours ago, translating the above, it’s now 6:05 AM, I think that the reflections and the text in manuscript are approaching what plays out in a crucial part of the unspoken — and unspeakable as long as the words are not the right ones, in the right order. The work of an entire lifetime, perhaps.

In what is perfectly sayable, whether in front of a limited public or not: I’m realizing, at 79, that this is the first year in which I’m experiencing old age in a concrete and objective way. As if, in working my way through a large house, I had just discovered the door — no, not the one to the little forbidden room in Bluebeard — but I’m the person I am, in the state of old age. A different phase in the way one experiences one’s self, others, and the world all around. In his conclusion to The Melancholy of Resistance, the other day, Krasznahorhai mentioned that we carry our death within us, and the way he wrote it, it seemed to be the final piece in his demonstration of the gloom in the whole adventure. Granted, it’s not the jolliest part of the adventure but, no, if it has the opportunity of showing up in a normal way, it is there, quite simply, preparing its entrance on the scene in order to may room for something else. Obviously, I’m not speaking here of the horrors inflicted on the living when it is neither their time nor the best way for them to die. I’m simply talking of the movement in “everything is born, everything changes, everything is transformed”. Dying correctly, that’s all.

Besides, my bedside companion at the moment is the following (see above)

Rose-fingered dawn has broken her colored crayons. Today, they lie like young birds, with open and empty beaks. However, to me, absolutely everything seems to contain the deposits for my ravings in prose.” Ossip Mandelstam The Egyptian Stamp, 1928*

Leave a comment