27 octobre 2025

Hier, après le départ de la plupart des invités encore présents, nous nous sommes retrouvés à 5 sur la “Route Céleste” : nos hôtes, Zehra et Ceny, un jeune Guinéen (30 ans, mais on ne lui en donnerait que 19), et moi. Hier soir près de braséro, longue conversation avec Zehra (en anglais, qu’elle parle beaucoup mieux qu’elle le croit) au sujet du Kurdistan et du PKK. En résumé, elle considère que le combat pour l’identité kurde – langue et culture – est entièrement aux mains des artistes dorénavant. Le retrait du PKK était inévitable, selon elle, puisque les combattants s’étaient engagés dans un combat perdu d’avance, avec une idéologie “romantique du 19e siècle”, comme elle dit, et des armes qui ne pouvaient pas se mesurer aux drones de l’armée turque, par exemple. Des combattantes qu’elle connaissait dans les PYD en étaient réduites à se cacher dans des grottes en montagne, repérées et abattues à la moindre sortie. Elles étaient dénutries, en manque de lumière, impuissantes, après avoir vécu des combats titanesques. La désillusion est grande, dit-elle, dans les villes d’Anatolie qui ont connu le pire des exactions de l’armée turque. Les gens ont tout donné, croyant à la victoire de leurs jeunes, les gens dont elle parle dans Nous aurons aussi des beaux jours, ces lettres qu’elle échangeait avec Naz …sur grande feuille de papier kraft qui servaient ensuite au dessin de sa bd…

Malgré l’accord du PKK de retirer ses combattants du pays, les prisons turques ne se sont pas vidés pour autant. D’autres condamnées remplacent la plupart de celles avec qui elle a partagé des cellules. L’enfant dont elle parle dans Prison N°5, vit dorénavant en liberté avec sa mère. Ce qu’il aura compris de ses années de petite enfance, enfermé dans des espaces confinés avec une cinquantaine de femmes, sans savoir ce qu’était un arbre ou une fenêtre sans barreaux, qui peut savoir ?

“Le combat nous appartient dorénavant — aux artistes, au Kurdistan en Turquie, en Irak, en Syrie et en Iran.”

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Face aux tempêtes du fascisme et de la guerre qui était en train de dévaster toute l’Europe, Walter Benjamin se posa, conclut Didi-Huberman, « la question cruciale entre toutes à ce moment de l’histoire : comment résister au fascisme ? 

Dans un tel monde, chaque bifurcation « était lourde de menaces, imposant l’inéluctable angoisse d’un espace sans issue . Mais si l’angoisse est inéluctable, l’issue ne l’est pas, à condition de savoir regarder la perspective de l’apocalypse comme l’Angelus novus de Paul Klee : de biais pour ne pas être sidérée par elle.

D’autant plus si nous nous situons, comme Walter Benjamin en son temps, dans une tension entre un monde nouveau inquiétant et un monde ancien insatisfaisant. Puisque, comme l’écrivait ce même Walter Benjamin dans un autre texte fameux, « que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe ».

….“repérer, comme le cinéaste italien Pier Paolo Pasolinii “les trouées de lumière” de nos temps sombres,éclairés surtout par des dispositifs de surveillance.  *

*Georges Didi-Huberman, Les Anges de l’Histoire. Images des temps inquiets, Les Editions de Minuit, 2025

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Yesterday, after the rest of the guests had left, there remained 5 of us on the “Celestial Road” : our hosts, Zehra and a young man from Guinea (he’s 30 but from his appearance, you wouldn’t give him more than 19 ), and I. In the evening by the brasero, a long conversation with Zehra (in English which she speaks much better than she thinks) about Kurdistan and the PKK. In summary, she considers that the struggle for Kurdish identity – language and culture – is entirely in the hands of artists from now on. The PKK’s retreat was inevitable, according to her, since the fighters had taken on a fight that was lost in advance, with an ideology she described as “19th century romanticism” and weapons that could not measure up to the Turkish army’s drones. The fighters she knew in the PYD – the women’s formations in the PKK – were reduced to sheltering in mountain caverns, spotted and killed at the least sortie. They were malnourished, lacking in sunshine, powerless. Disillusion was great, she said, in the towns of Anatolia that had known the worst of the exactions by the Turkish army. People gave their all, believing in the victory of their youth — the people she talks about in Nous aurons aussi des beaux jours (We will also know fine days), those letters she exchanged with Naz…on large sheets of wrapping paper that she then used to draw her graphic novel…

Despite the PKK’s agreement to pull out its fighters from the country, Turkish prisons are not empty for all that. Other condemned ones have replaced most of those with whom she shared her cells. The child she speaks about in Prison N°5, now lives outside prison walls with his mother. What he will have understood of his early childhood years, locked away in cramped quarters with some fifty women, without even knowing what a tree was, or a window without bars, who can say?

The struggle now belongs to us — the artists of Kurdistan, in Turkey, Irak, Syria and Iran.”

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Faced with the fascist storms and the war that was devastating all of Europe, Walter Benjamin asked himself the question, crucial among all of the them in that moment of history: how to resist against fascism?” , Didi-Huberman concludes in Les Anges de l’Histoire. Images des temps inquiets ( The Angels History. Images of Troubled Times. )

“In such a world, each fork in the road is laden with threats, imposing the inescapable anguish of a space without exits. But if the anguish is inescapable, the way out is not, if one looks at the perspective of the apocalypse as does Paul Klee’s Angelus Novus: sideways, so as not to be stunned by it.

The more so, if we place ourselves, as did Walter Benjamin in his days, in a tension between the disturbing new world and the unsatisfactory old one. Since, as Walter Benjamin wrote in another famous text “that things should go on as before, that would be the catastrophe ».

….“spotting, as did the Italian film maker Pier Paolo Pasolini “the gaps of light”, in our dark times mostly illuminated by surveillance methods.”

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