
Zehra Dogan, Sans titre, acrylique sur toile
Rêves de la nuit, envolés, dispersés comme les oracles de la Sybille par le vent. “La tête est pleine, mais le coeur n’a pas assez”, comme chantait Lhassa de Sela dans La Marée Haute. Souvenir de la photo prise de moi par ma fille, dans le café de la librairie Ombres Blanches à Toulouse, juste avant son départ après le premier séjour, avant l’enchaînement des désastres qui se sont produits durant le second. Brève embellie avant une autre plongée dans le bruit, la fureur et la confusion de la démence. Embellie comme ce ballet des insectes que nous appelions des “demoiselles”, glissant à la surface de l’étang, sur cette peau, imperceptible pour nous, entre l’eau et l’air. Résistante et fragile.
Je relis le Livre IV des Métamorphoses, les récits des trois filles de Minyas qui refusent d’honorer Bacchus, poursuivent leur tissage, et se voient transformées en chauve-souris. Pendant que toutes les autres se précipitent en louanges de Bacchus — on se croyait à une réunion de cabinet de Trump — la première raconte le cafouillage mortel à l’origine de la mort de Pyrame et Thisbée; la seconde raconte la triste histoire de la fille violée par le soleil qui se retrouve transformée en plante fournissant l’encens et la troisième, l’histoire d’Hermaphrodite, “forme double, ni fille, ni garçon, les deux à la fois”, comme quoi les balades génétiques hors-normes ne sont pas chose nouvelle. Le plus triste, c’est tout de même le sort de la Gorgone, violée par le dieu de la mer dans le temple de Minerve. Ni une, ni deux, dit la déesse, “il ne faut pas laisser le viol impuni” et bim ! de transformer la magnifique chevelure de la Gorgone en serpents. Punir la victime n’a rien de nouveau non plus.
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Bien. Depart pour Saumur cet après-midi, retrouver des amis qui viennent de s’installer dans le village de Turquan. On rigole un peu, puisque la copine est turque. C’est elle qui avait mené toute l’opération de soutien à Zehra Dogan durant l’incarcération de cette dernière en Turquie. Elle et son compagnon publiaient en ligne la revue Kedistan pour laquelle je traduisais des textes vers l’anglais. Kedistan (kedi veut dire chat en turc, en l’honneur de ceux qu’on retrouve partout à Istanboul), la revue, a cessé ses publications en décembre 2024 mais ses archives sont toujours en ligne. Il sera beaucoup question du Kurdistan dans nos conversations.
Je ne sais pas quelles seront les conditions pour les communications électroniques. En principe, je rentrerai chez-moi mardi prochain.
Entretemps, quelqu’un a consulté la page du 24 août 2023, contenant un extrait d’un poème de Kari Unksova :
“…Lâche forêt les arbres les oiseaux
Les feuilles filles vont laisser les branches
Fête aux étoiles dans le ciel là-haut
Et la rosée bol le bol vapeur plus blanche
Toute passion toute oeuvre de raison
Dorénavant reposent se consument
La lune seule comme une maison
Sans murs demeure – fixe sur sa cime
Fin de l’été.”
Pendant que se construit dans ma tête, à coups de lectures et de réflexions, le portrait de la dérive à laquelle il faut bien donner une date, alors je démarre avec le crash financier de 2008 et le sauvetage des banques sur lequel se sont construites les fortunes monstrueuses dévorant rime et raison. La cupidité était déjà là, mais comme l’a si bien résumé Paulina Borsook dans son échange avec Gil Duran : “They made a philosophy out of a personality defect.” (Ils ont inventé une philosophie à partir d’un défaut de la personnalité.)
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The dreams of the night flown away, scattered like the oracles of the Sybil by the wind. “The head is full but the heart has not enough”, as sang Lhassa de Sela in La Marée Haute (High Tide). The memory of a photo snapped by my daughter in the café of the Ombres Blanches bookstore in Toulouse, just before her deaprture after her first visit, prior to the chain of disasters that happened during the second one. Brief bright spell prior to another plunge into the sound, the fury and the confusion of madness. Brief spell like the ballet of insects we called “demoiselles”, gliding on the surface of the pond, on that skin, imperceptible for us, between water and air. Resistant and fragile.
I re-read Book IV in the Metamorphoses, the tales related by Minyas’ three daughters who refuse to honor Bacchus, go on weaving and are trasnformed into bats. While all the others fall over themselves in praising Bacchus — you’d think you were at a Trump cabinet meeting — the first daughter tells the sad tale of the deadly mixup causing the deaths of Pyramus and Thisbee; the second tells the sad tale of the girl raped by the sun who becomes transformed into a plant supplying incense and the third, the tale of Hermaphrodite, “double form, neither girl nor boy, both at once”, proof the genetic rambles outside the norms are nothing new. Yet the saddest is the fate of the Gorgon Medusa, raped by the god of the sea inside Minerva’s temple. Who will have none of that, thank you, “rape cannot go unpunished” and bingo! she transforms the Gorgon’s magnificent hair into snakes. Punishing the victime is nothing new either.
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So. Leaving for Saumur this afternoon, to meet up with friends who’ve just settled into the village Turquan. We laugh a bit over it, since the buddy is Turkish. She’s the person who had led the solidarity operation for Zehra Dogan during her jail time in Turkey. She and her companion published an online magazine, Kedistan, for which I translated some materials into English. Kedistan (kedi means cat in Turkish, in honor of those you find everywhere in Istanbul), the magazine ceased publication in December 2024 but the archives are still online. mais ses archives sont toujours en ligne. There will be much talk of Kurdistan in our conversations.
I don’t know what the arrangements will be for electronic communications. In principle, I’ll be back home next Tuesday.
In the meantime, someone consulte the page for August 24 2023 where there was talk of Prigozhin (remember him ?) and this excerpt of a poem by Kari Unksova :
“…Lâche forêt les arbres les oiseaux
Les feuilles filles vont laisser les branches
Fête aux étoiles dans le ciel là-haut
Et la rosée bol le bol vapeur plus blanche
Toute passion toute oeuvre de raison
Dorénavant reposent se consument
La lune seule comme une maison
Sans murs demeure – fixe sur sa cime
Fin de l’été.”
While through readings and reflections, I’m constructing in my head the portrait of the drifting away to which a date must be attributed, so I begin it with the financial crash in 2008 and the saving of the banks on which the monstrous fortunes were built, devouring both rhyme and reason. The greed was already there but as Paulina Borsook summarized it so well in her exchange with Gil Duran : “They made a philosophy out of a personality defect.”