
Le régime d’assurance-maladie avait été modifié afin d’en éliminer les vieux nés avant 1965, en plus, chaque recours à l’aide affectait la forme du rectangle sur le tableau, qui allait en s’amenuisant vers une ligne plate indiquant qu’on avait éteint son droit à d’autres services.
Nous n’en sommes pas là, ici, mais ailleurs, certains n’auront jamais connu pareil régime alors que d’autres sont en train d’en être privés au moment où j’écris ces lignes.
Les temps sont de plus en plus cannibales.
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Promenade à pas lents dans le parc au bord de la rivière. Dans l’autre section du parc, les cognassiers ploient sous les fruits, presque toutes les grenades ont éclaté, de figues mûres, il n’en reste qu’une poignée sur un des arbres, sur les autres, elles ont jauni sans mûrir. Tous les figuiers ont perdu quantité de feuilles durant la canicule, mains jaunes énormes parsemant l’allée.
Hier encore, en déplaçant une pile de livres, j’ai retrouvé le Catalogue Actes Sud de 1990, avec la nouvelle de Nina Berberova, Disparition de la bibliothèque Tourgueniev, que je me désolais d’avoir perdu. Non pas qu’il s’agisse d’une joyeuseté – cette bibliothèque que les Allemands avaient saisie à Paris durant la guerre et que les fonctionnaires de l’ambassade soviétique n’avaient pas vu bon de sauver – qu’en avaient-ils à faire, de la bibliothèque de ces “émigrés”, contempteurs du régime ! Il y avait bien eu un moment d’agitation quand le plaideur avait mentionné que Lénine y aurait posé son postérieur sur l’une des chaises, mais sans suite (et je me demande s’ils auraient alors sauvé les livres ou la chaise ? Mon pari porte sur la chaise.)
Enfin. En exergue à cette nouvelle, Nina Berberova cite un extrait de la lettre de Joukovski, sur la mort de Pouchkine : “Adieu, mes amis ! dit Pouchkine, et ses yeux se portèrent sur sa bibliothèque. “

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À part ça ? Rien d’autre que la relecture du Jules César de Shakespeare et de ce discours affolant de justesse manipulatrice que prononce Marc Antoine, vantant Brutus et les autres “hommes honorables” de façon si perverse qu’il emporte l’adhésion de la foule contre eux, et pour lui. Les foules, effrayantes dans leur mobilité, tuant le poète Cinna en raison de son nom, le même que celui de l’un de ceux qui ont frappé Jules César, avec Brutus.
Tout ça, plus évocations – contemporaines et familiales d’antan – méritait bien une lente promenade au parc bordant la rivière, d’où je suis revenue avec une grenade intacte, un coing énorme et une poignée de figues suaves à souhait.
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Après un bref regard aux informations : je poursuis mon “congé facebook”, pour l’essentiel pendant que tout devient de pire en pire. À chaque jour qui passe. Une fosse de folie nourrie par la haine. Inutile d’en détailler tel ou tel incident. C’est juste une accumulation constante de laideur, de mensonges, des paroles des menteurs tenus pour vérités, des mots de ceux qui disent la vérité, vilipendés avec celui qui les prononce.
Et ainsi de suite.
Préserver sa santé mentale, parce qu’au final, c’est probablement la seule chose à laquelle je tiens plus que tout. Sans elle, rien d’autre n’est possible.
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The health insurance regime had been modified in order to eliminate from it old people born before 1965, each use of the insurance modified the shape of the rectangle on the chart that kept getting slimmer until it turned into a flat line signalling you had used up your right to further services.
We haven’t reached that point over here, but elsewhere, some will never have known such a service while others are losing their access to it as I write these lines.
The times are becoming more and more cannibalistic.
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Slow amble in the park near the river. In its other section, the quince trees were bowed under the weight of the fruit, almost all the the pomegranates had exploded, there was only a handful of ripe figs left on one tree, on all the others, they had turned yellow without ripening. All the fig trees had lost a lot of leaves during the heat wave, like huge yellow hands strewn over the walk.
Also yesterday, in moving a pile of books, I came across the 1990 catalogue from Actes Sud, with Nina Berberova’s account on the Disappearance of the Tourgeniev library, which I thought I had sadly lost. Not that it brims with joy – this library that the Germans seized in Paris during the war and that the staff at the Soviet embassy did not consider worth saving – what did they care about the library of a bunch of “emigrants” , contemptors of the regime! There had been a moment of agitation when the pleader had mentioned that Lenin had once placed his backside on one of the chairs, but with no follow-through (I wonder if they would have saved the books or the chair? My wager is on the chair.)
Oh well. As postcript to this account, Nina Berberova quotes an excerpt from the letter in which Joukovsky tells of Pushkin’s death : “Farewell, my friends! Pushkin said, and his eyes turned toward his library.”
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Apart from that ? Nothing else except for a re-reading of Shakespeare’s Julius Caesar and of that frighteningly effective piece of manipulation by Anthony, praising Brutus and the other “honorable men” in such a perverse way that he carries the crowd’s approval against them and in his favor. Crowds, so frightening in their mobility, killing the poet Cinna because he has the same name as one of those who struck Julius Caesar along with Brutus.
All that, plus reminiscences – both contemporary and of ancient family stories – deserved a slow amble in the park by the river, from where I returned with an unbroken pomegranate, a huge quince and a handful of figs, as silky smooth as could be.
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After a brief look at the news : I pursue my “facebook holiday” on the whole while everything keeps on getting worse. Every single day. A pit of hatred-fuelled insanity. No use picking at specific incidents, it’s just a constant accumulation of ugliness, lies, the words of liars are held up to be truths, the words of truth-sayers are reviled along with the truth-sayer,
And so on.
Staying sane, because, in the end, sanity is probably the only thing I care about. Without it, nothing else is possible