
Purée, c’est pas vrai. 3h38, cette fois, un homme et une femme dans le parc. Elle lui hurle après, répète constamment “c’est-normal ? Hein ? C’est normal, ça ?” Lui, marmonnement indistinct, elle téléphone à la mère du type (3h38, oui, je précise), torrent d’accusations, “les enfants, c’est normal, ça ?” en boucle, puis “voilà, ta mère dit pareil ! Pareil ! vas-y vas la vendre, ta drogue, sale connard !” et cetera, bizarrement je m’en fais pour les oiseaux dans les arbres, comment font-ils pour dormir avec cette voix qui perce dans les aigus ? Une voiture arrive devant chez-moi, non d’abord, les voix d’enfants, sortis de nulle part, puis “ils ont besoin de voir ça, hein ?”, la voiture, une femme en sort, fait monter la femme et les enfants, se dirige vers le type, lui parle, la voiture repart, lui redescend vers la rivière. Opéra de nuit. Rideau à 4h15. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à nous faire leur cinéma le long de la rivière ?
Pendant ce temps : ça y est, les Etats-Unis sont entrés dans la guerre en bombardant trois sites nucléaires en Iran. Titre dans le TNYT: Trump prétend que ces trois sites ont été “oblitérés”. Suite au prochain numéro.
Purée de mes os.
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6h25 – les tourterelles se déchaînent, un coq proteste au loin. J’ai lu, puisqu’il était impossible de dormir. Marina Tsvétaïéva, Neuf lettres avec une dixième retenue et une onzième reçue, clémence hiver éditeur
Démesurée. C’est ma définition de Marina Tsvétaïéva. Tout, toujours, dans sa démesure à elle. De sorte qu’elle écrive à qui que ce soit, on n’apprend strictement rien de la personne à qui elle écrit, à tous et à toutes, elle s’adresse depuis cet espace intérieur où ce qu’elle perçoit d’eux ou d’elles n’a pas grand chose à voir avec qui ils ou elles sont; uniquement ce que leurs mots déclenchent en elle. Qu’il s’agisse de Pasternak, de Rainer Maria Rilke, d’une amie, d’un illustre inconnu, un ou l’autre peut tout aussi bien être le récipiendaire de paroles telles que : « En tout homme, en tout sentiment « je suis à l’étroit, comme dans toute chambre, fût-ce tanière ou château. Je ne peux pas vivre, c’est-à-dire durer, je ne sais pas vivre — dans les jours et chaque jour, je vis en dehors de moi. C’est une maladie incurable, et elle a pour nom « l’âme.»
Comprenne qui pourra. (Cette fois-là, c’était dans une lettre du 8 janvier 1925 à Olga Tchernova – mais qu’importe. Encore et toujours, le choc du réel dans lequel tout s’effondre – la rencontre désastreuse avec Pasternak, par exemple, après la correspondance hors-sol – c’est le cas de le dire. En effet, elle ne savait pas vivre dans ce que ce mot comprend de parcimonieux, de mesuré, de graduel. Tout au-delà du tout, toujours.)
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Vidéo hier, sur Facebook : près de Rostov, l’odeur de chair brûlée est suffocante. Les fours fonctionnent à plein régime, les cheminées en rougeoient. Et qu’y brûle-t-on ? Les cadavres des soldats russes, supposément « non-identifiés, non-identifiables par les familles ». 24 heures par jour, 7 jours sur 7 Autant d’argent épargné pour le régime qui n’aura pas à payer leur dû aux familles en question.
Je n’ai pas « partagé » sur ma page. On patauge dans un mélange d’horreur absolue et d’insignifiances monstrueuses, alors, que dire, que faire, que signaler et à quelles fins ?
Les Etats-Unis se sont joints à la guerre de Netanyahou contre l’Iran. Trois sites nucléaires bombardés; La suite ? Qui peut dire.
Plus que jamais, la modestie du mot juste s’impose. S’il n’y en a qu’une poignée, qu’ils soient aussi justes que possible, on ne peut espérer rien de mieux.
Le chat n’en a cure. S’élance dans le jardin. Les tourterelles en remettent un coup, le coq aussi.