27 février 2025

Rêves – n’en reste que des bribes d’images : le rire de Sergei Lavrov, très laid; des bouts de tissus colorés, bleus et orangé, suspendus comme ces drapeaux de prière que les Tibétains appellent des “chevaux du vent”; un bout de route en construction qu’on se dispute; la visite d’un lieu inconnu; mais, dans tous les cas, le récit, lui s’est évanoui au réveil.

Je comprends mieux, si tel est le cas pour d’autres, qu’on ne trouve guère d’intérêt à se souvenir de ses rêves, des images qui défilent, on en voit bien assez comme ça dans la journée (celles-là, souvent accompagnées d’un “émoji” qui résume la pensée à un pouce levé, un coeur, un bonhomme convulsé de rire, une tête rouge de colère…ou des injures – crétin ! minable ! ) Alors, un récit, pensez donc ! Ou quelqu’un qui s’exprime en phrases complètes, ouh là ! Cela mérite l’émoji d’une bouche ouverte de stupéfaction.

Au réveil, là, je pense à une passage des Entretiens mentionnés hier. 1956 : Kroutchev fait son fameux rapport dénonçant (certains) des crimes de Staline. Lydia Tchoukovskaya assiste à une séance où (certains) éléments de ce rapport sont rendus publics et revient en parler avec Anna Akhmatova qui a refusé de s’y rendre. Elles discutent au sujet de ces femmes qui ont pleuré durant la lecture : de quoi pleuraient-elles donc ? Elle n’avaient rien su ? Elles avaient dénoncé et craignaient que ça soit à leur tour, maintenant ? Puis : “J’ai essayé de poser à Anna Andreïevna la question qui m’obsède : comment se fait-il que toutes les joies que nous éprouvons en ce moment me paraissent empoisonnées ? Et je jure que cela n’est pas dû au fait que les autres sont de retour alors que Mitia, lui, ne reviendra jamais. Ce n’est pas à cause de cela, parole d’honneur.

Comment cela se fait-il? (Anna Andreïevna m’a regardée bien en face d’un air grave: allais-je comprendre ?) C’est dû au fait qu’inconsciemment, à votre insu, vous voudriez que ces années n’aient jamais existé. Or elle ont existé. Il est impossible de les effacer. Le temps n’est pas immobile. Il peut vous ramener, ni vous ni eux, au jour où l’on vous a séparés. Ce jour a été atroce, pour eux comme pour nous, mais il fait désormais partie de la vie de chacun. Vous voudriez que le temps revienne en arrière, que les prisonniers ne soient jamais partis pour le bagne, que la vie interrompue dans la violence reprenne miraculeusement à l’endroit où elle s’est arrêtée, et que les morceaux tranchés à coups de hache se recollent. Mais les choses ne se passent pas ainsi Mais ce genre de colle n’existe pas. La catégorie du temps est beaucoup plus complexe que la catégorie de l’espace...*

Ça se poursuit, tout est à lire mais je m’arrête là. Sur cette catégorie complexe du temps et sur les leçons amères auquel il oblige les humains. Si au moins, ils pouvaient en tirer des leçons qui orienteraient leurs décision futures…

*Lydia Tchoukovskaïa, Entretiens avec Anna Akhmatova, Le Bruit du Temps, 2019

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Mais il y a autre chose dans ces images éparses de rêves privés de leur récit : la question pas encore résolue de la langue que parlent entre eux les habitants de l’observatoire en l’an 2180. À quoi ressemble-t-elle ? Ce sera peut-être la question du jour, concernant L’Horloger des Brumes, pendant que Camille Messager procède à l’encrage de l’esquisse du gamin qu’on nomme 18.

*

Dreams – nothing left but bits of images : Sergy Lavrov’s laugh, very ugly; bits of colored fabric, blues and oranges, suspended like the prayer flags Tibetans call “horses of the wind”; a bit of disputed road under construction; a visit to an unknown place; but, in all cases, the narrative disappeared when I woke up.

I can better understand if such is the case for others, that they don’t see much interest in remembering their dreams, streaming images, we see more than enough of those during the day (those, often accompanied by an “emoji” summarizing the thinking process, a raised thumb, a heart, a man convulsed in laughter, a face red with anger…or insults – asshole! shitface! ) So a narrative yet, what are you thinking! Or someone expressing thoughts in full sentences, holy moly ! This calls for a mouth wide open emoji of astonishment.

Upon waking right now, I think of a passage in the Conversations I mentioned yesterday. 1956 : Krushchev reveals his famous report denouncing (some of) Stalin’s crimes. Lydia Tchoukovskaya goes to a meeting where (certain) elements of this report are made public and returns to talk about it with Anna Akhmatova who has refused to attend. They discuss the topic of those women who cried during the reading. What were they crying about? They hadn’t known a thing? They had denounced others and feared that their turn had come? Then: “I tried putting the question that obsesses me to Anna Andreyevna: how is it that all the joys we experience at this moment feel poisoned? And I swear that this is not due to the fact that the others are returning whereas Mitia will never come back. On my honor, this is not the reason.

How come? (Anna Andreyevna looked me straight in the face with a grave look: was I going to understand?) It’s due to the fact that unconsciously, without your knowledge, you wish those years had never existed. But they did exists. They are impossible to erase. Time does not stand still. It cannot bring you back, neither you nor them, to the day when you were torn apart. That day was atrocious, for them as for you, but it is now a part of the fabric of each one’s life. You would want that time move back, that the prisoners had never left for the penal colony, that the life interrupted in violence pick up miraculously at the point where it stopped, and the the pieces hacked off with the strokes of an ax be glued back together again. But things don’t happen that way. But that kind of glue doesn’t exist. Time as a category is much more complex than space as a category …”

It goes on, the whole thing deserves to be read, but I stop there On this complex category of time and on the bitter lessons it forces humans to learn. If at least they could draw lessons from it that would guide their future decisions…

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But there is something else in those random dream images deprived of their narrative: the still unresolved question of the tongue spoken by the inhabitants of the observatory in the year 2180. What does it resemble? That will probably be the question of the day concerning L’Horloger des Brumes, while Camille Messager proceeds to the inking of the sketch of the boy called 18.

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