
Ce matin, au réveil, alors que le chat miaulait, les rêves sont tous partis sans laisser d’adresse et j’ai ressenti l’envie d’en faire autant. Et puis, des rêves, il y a plein de gens qui ne s’en souviennent pas au réveil et même, plein de gens qui affirment n’en faire jamais. Ce qui est bien dommage pour eux mais s’ils sont bien comme ça, qu’y puis-je ?
Il y en a d’autres qui en font des poèmes si inoubliables que même leur empreinte est une chose bouleversante.
Épuisée hier soir, après le marathon de les humanités consacré à l’Ukraine, j’ai eu envie de relire la série de quatre chroniques qu’André Markowicz avait consacré en mars 2016 au poème de Mandelstam Le concert à la gare. (Je sais, je parle souvent d’André Markowicz et de Françoise Morvan ici, c’est comme ça.) En ouvrant ma copie des Partages 2015-2016*, je tombe sur un marque-page improvisé – un des bouts de papier sur lequel je griffonne des trucs – sur lequel se trouve les mots “thou cream-faced loon” Macbeth – expression qui m’avait frappée à l’époque. Je vérifie ce matin : il s’agit d’un commentaire que Macbeth adresse à un serviteur qui a blanchi de terreur ou de je ne sais quoi et qu’il traite de pleutre et d’imbécile, en somme, à l’apparence d’une oie plumée.
Ce qui n’a rien à voir avec le poème, mais certainement beaucoup de ressemblance avec le Gros Bouffi qui se croit président des Etats-Unis et grand homme, par-dessus le marché, et que tous les profiteurs de la terre savent très bien manipuler par les flatteries les plus crétines qui soient.
Le rêve, donc, de ce concert à la gare de Pavlovsk. Car c’est un rêve. Mandelstam le dit lui-même dans le poème, èta son.
Partir. Au réveil, ce matin, la seule envie était celle-là. Sans laisser d’adresse et sans destination précise. Mais il y avait le chat. Qui miaulait. Comme compagnon de route, un chat, c’est pas évident.
Il pleut. Je reviens au poème. Enfin, au poème que je devine à travers la transcription phonétique qu’en fait André Markowicz et ce qu’il en révèle, mais aussi par ses références à d’autres poèmes que je connais – le dernier de Lermontov qui débute par les mots “je sors seul sur la route” qui a donné une chanson magnifique en russe. Et celui de Pouchkine aussi, le Partons, repris à la fin du Maître et Marguerite de Boulgakov.
“Le concert à la gare”, de Mandelstam. À la gare de Pavlovsk en 1921. L’adieu aux ombres chères dans “un monde retourné”.
Ici. Le monde retourné d’ici qui donne envie de
Partir. Pluie ou pas, partir sans laisser d’adresse.
Evidemment, je ne ferai rien de tel. Dans L’Horloger, il y a la gamine à mener à bon port ou, à tout le moins, à un port où sa vie aura peut-être un sens, et pour elle, et pour les autres.
*André Markowicz, Partages 2015-2016, Editions Mesures 2023