
Rêves : il y a un moment où la voiture file devant l’ancien collège Loyola à Montréal-ouest, assise à côté du chauffeur, je suis soulagée de voir que ça n’est pas à cet endroit que sont détenus les otages avec les restes des cadavres des enfants planqués dans des cercueils pour adultes; un vieux prêtre aux allures du jésuite hongrois du collège en question est tout ravi de la pierre qu’il a trouvée, toute craquelée, je lui indique la trace noire qui la traverse, vestige de l’incendie qui a tout ravagé; dans une salle de classe trois bacs en bois remplis de livres dont j’avais fait don à l’école.
En ouvrant les yeux: je me souviens que le vieux jésuite, Father Henke, parlait de Teilhard de Chardin et de son point Omega, devant des étudiants canadiens aussi indifférents à tout ça que des larves dans leurs cocons tout blancs. Des années plus tard, j’étais retournée le voir pour en parler, j’étais repartie en ayant compris que cette idée lui tenait lieu d’espoir, mais qu’il ne croyait plus vraiment à grand chose. À certains égards, je suis comme lui (abstraction faite de Teilhard de Chardin).
*
Hier soir, après lecture dans les Partages 2022 intitulé Un An de Guerre* du moment où l’armée ukrainienne avait repris Kherson des Russes et de l’immense espoir que cela avait inspiré, je suis allée à la page 630, 18 décembre (Pendant l’Ukraine, le merle de Françoise) relire le quatrain en question, tiré de Pluies :
Noir de giroflée miroitant dans l’orme
Le merle après la pluie d’avril
La source a pu tarir depuis mille ans
Il la fera ruisseler de mémoire
Intraduisible, je crois. Traduisible, tout ne l’est pas.
*
Quant à l’image dans les rêves de corps d’enfants dans des cercueils pour adulte, elle est multidimensionnelle, inspirée sans aucun doute par le retour des corps des enfants-otages Ariel et Kfir Bibas (dans les nouvelles du jour, ajoutant à l’horreur, les Israéliens affirment que l’un des corps adultes n’est pas celui de leur mère Shiri), la puanteur de la mort au-dessus de Gaza, et la mention par ma soeur aînée du cadavre difforme d’un des enfants mâles nés de notre mère, et de son trajet en voiture sur des centaines de kilomètre, à l’âge de 7 ans, pour son enterrement à Montréal – un souvenir qu’elle a évoqué dans un autre contexte, il y a quelques jours de cela.
*
Et puis, les points de bascule, comme celui que nous vivons présentement. Mais aussi celui qu’on observe chez les très jeunes enfants qui n’ont pas encore développé un niveau de contrôle émotionnel leur permettant de comprendre que la maman adorée d’il y a 5 minutes auparavant est la même personne que l’horrible sorcière qu’elle devient à leurs yeux, 5 minutes plus tard. De toute évidence, certains adultes conservent cette déficience à vie. Chez certains s’y rajoutent un développement intellectuel fondé sur cette immaturité émotionnelle, devenue permanente, et les voilà escaladant des monceaux de cadavres pour se proclamer le roi du palais, comme dans le jeu de mon enfance où le gagnant, arrivé au sommet de la pile de sable proclamait : “I’m the King of the Castle, and you’re the dirty Rascal!”.
*André Markowicz, Un An de Guerre, Partages 2022, Editions Mesures, 2025
**Françoise Morvan, Pluies, Editions Mesures, 2021
(Illustration : le recueil Kamen (La pierre) d’Ossip Mandelstam, notamment, ici, pour le poème qui débute en français par les mots L’or faux des sapins de Noël ), Moscou 1990)
*
Dreams: there was a moment where the car sped by the old Loyola College in Montreal-West, sitting next to the driver I was relieved to see that wasn’t where the hostages were held with the remains of children’s corpses stuffed into caskets designed for adults; an old priest who resemble the Hungarian Jesuit in this college was delighted by his find of a stone, covered with cracks, I showed him the black trace running across it, a vestige of the fires that had destroyed everything; in a classroom, three wooden bin filled with books I had donated to the school.
Upon opening my eyes: the old Jesuit, Father Henke, talked about Teilhard de Chardin and his Omega Point, in front of Canadian students as indifferent to all that as larvae in the lily-white cocoons. Years later, I had gone back to see him and talk about it, I had left with the understanding that this notion served as a hope because he didn’t truly believe in anything any more. In some regards, I am as he was.
*
Last night, after reading in the Partages 2022 titled Un An de Guerre* of the moment when the Ukrainian army reconquered Kherson over the Russians and of the huge hope that had inspired, I went to the entry for Deccember 18 on page 630, (titled During Ukraine, Françoise’s blackbird) to re-read this quatrain from her book Pluies (Rains):
Noir de giroflée miroitant dans l’orme
Le merle après la pluie d’avril
La source a pu tarir depuis mille ans
Il la fera ruisseler de mémoire
Untranslatable, I think. Not everything is.
*
As for the dream image of children’s bodies in adult caskets, it’s a multilayered one, inspired undoubtedly by the return of the remains of Ariel and Kfir Bibas (the news this morning adding to the horror the fact the Israelis claim one of the bodies is not that of their mother Shiri), the stench of death hanging over Gaza, and the mention by my eldest sister of one of the severely deformed male children born to our mother and of her drive in the car, at the age of 7, over hundreds of kilometers for his burial, a recollection of hers she mentioned a few days ago.
*
And also, the tipping points, like the one we are experiencing currently. But also what one sees in very young children who haven’t yet developed a sufficient level of emotional control to understand that the adored mamma of 5 minutes ago is the very same person as the horrible witch she has now become in their eyes, 5 minutes later. Clearly, some adults keep this deficiency over their entire life. In some of them gets tacked on an intellectual development based on this emotional immaturity, turned permanent and you find them climbing over piles of corpses to proclaim themselves, as the winner in the game from my childhood did when he reached the top of the sandpile: “I’m the King of the Castle, and you’re the dirty Rascal!”.
*
(Illustration :Ossip Mandelstam’s Kamen (The Stone) in particular, here for the poem beginning with the words The fake gold of Christmas trees, Moscow 1990. )