16 décembre 2024

Zehra Dogan : portrait composé avec les moyens du bord en prison : carton, aliments, papier argenté d’un paquet de cigarettes (portrait done with means available in prison: cardboard, food, silver paper from a pack of cigarettes)

rêves : je suis à balayer un espace et je mens à la maîtresse en disant que je dois passer un examen à l’université McGill en après-midi, alors que je veux prendre ce temps pour écrire, je lui donne à lire un récit, elle me dit que tout ça est beaucoup trop triste, jamais un éditeur n’en voudra, ce que je sais déjà, je lui raconte tout, c’est encore plus triste; le 2e rêve repart se cacher dès le réveil; dans le dernier, je cherche deux garçons dans des salles de classe sans les trouver, je ressors vers un bus qui doit m’amener à une cérémonie, je le rate en allant vers ma soeur, un autre bus arrive, décati, déglingué, les sièges en sont rouillés, je demande à ma soeur si elle veut s’asseoir vers l’avant ou à l’arrière.

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Depuis le 9 décembre, Kedistan n’est plus. Le rythme des publications était tombé à presque zéro et il y avait des mois que je n’avais plus traduit autre chose pour eux que des textes pour les expositions de l’artiste kurde Zehra Dogan. (Et pourquoi “Kedistan” ? En référence à ‘Kurdistan’, bien sûr, mais aussi parce qu’en turc, le mot kedi veut dire chat, qu’Istanbul est leur royaume et que les deux piliers de Kedistan, Naz Oke et Daniel Fleury, sont des amoureux inconditionnels des chats.) Le journal numérique a tenu grâce à leur persistance et des contributions financières occasionnelles. Sans eux, Zehra n’aurait pas été aussi soutenue, ni pendant son incarcération, ni depuis, ni encore aujourd’hui alors qu’ils assurent l’hébergement de ses oeuvres. Pendant que Zehra était en prison, Naz lui écrivait sur des feuilles de papier kraft que Zehra utilisait ensuite pour produire un journal, puis, les dessins de sa bande dessinée Prison # 5. (Leurs lettres ont été publiées sous le titre Nous aurons aussi des beaux jours chez des femmes. Leur soutien a aussi été – et continue d’être – précieux pour Asli Erdogan et plusieurs prisonnières ou ex-prisonnières politiques moins connues. (J’ai traduit ces titres vers l’anglais; ils n’ont pas trouvé preneurs chez les éditeurs.)

Il y eut aussi la traduction des entrevues de Zehra avec des femmes yézidis qui étaient parvenues à échapper à leurs bourreaux – Naz traduisant du turc vers le français, et moi, du français vers l’anglais; des récits si horribles que je devais prendre des pauses régulières pour aller marcher et reprendre contact avec la beauté des arbres, le chant des oiseaux, le ciel, gris, bleu, pluvieux, qu’importe.

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Commencé la lecture de Sur les rois, hier soir. À ma manière, c’est-à-dire en piochant dans les articles de David Graeber et Marshall Sahlins comme je l’entends. Pour l’heure, je note la manière dont la notion de souveraineté, transférée du roi déchu vers “le peuple”, est toujours imprégnée de ses origines royales, avec tout ce que cela suppose de tensions internes et de conflits aux frontières.

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Brume épaisse à l’extérieur.

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dreams: I’m sweeping the floor and I lie to the teacher, saying I must go for an exam at McGill University in the afternoon, when what I intend to do is use the time to write, I show her one of my writings and she says it’s much too sad, no publisher will want it, which I know already, I tell her everything and then, it’s even sadder; the second dream goes in hiding as soon as I wake up; in the last one, I’m looking for two boys in several classrooms without finding them, I head for a bus that will take me to a ceremony, I miss it by going toward my sister, another bu arrives, old, falling apart, the seats are all rusted, I ask my sister if she wants to sit at the front or in the rear.

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Since December 9th, Kedistan no longer exists. The rate of publications had fallen to almost zero and I had no longer translated anything for them other than materials for exhibitions by the Kurdish artist Zehra Dogan. (And why “Kedistan” ? In référence to ‘Kurdistan’, of course, also because the word in Turkish for cat is kedi, Istanbul is their kingdom and the two pillars of the magazine, Naz Oke and Daniel Fleury, are unconditional cat lovers. The digital magazine held out through their persistence and occasional financial contributions. Without them, Zehra would not have been supported during her incarceration, nor today still when they provide the space for her accumulated works.While Zehra was in prison, Naz wrote to her on sheets of wrapping paper Zehra then used to produce a prison newspaper and her graphic novel Prison # 5. (Their letters were published under the title Nous aurons aussi des beaux jours (We will also know fine days) by des femmes. Their support was – and continues to be precious for Asli Erdogan and other lesser known prisoners or ex political prisoners. (I translated these titles into English; they have not been picked up by any publishers.)

There was also the translation of Zehra’s interviews with Yezidi woman who had managed to escape from their tormentors – Naz translating from Turkish to French and I, from French to English; experiences so horrible that I had to take regular pauses to go outside and reconnect with the beauty of the trees, bird song, sky, be it blue, grey, rainy,, whatever.

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Started reading On Kings last night. In my usual manner, which is by drawing in David Graeber and Marshall Sahlins’ articles as I see fit. For the time being, I take note of the way in which the notion of soverignty, transferred from the deposed king onto “the people” is still impregnated by its royal origins, with everything that implies of internal tensions and conflits on the borders.

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Heavy fog outside.

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