
“Hirsute” dessin de Camille Messager
Rêves : dans une épicerie au rayon des pâtes, de longues boîtes de pâtes plates – sortes de lasagne de près d’un demi-mètre – toutes sont déchirées ou éventrées. J’en trouve une qui est ouverte, je la montre à l’épicière qui la reprend, mine résignée, pour la ranger avec les autres avariées, “vous ne paraissez pas étonnée”, lui dis-je, “oh, vous savez, nous sommes à côté de 3 banques”, dit-elle sans que je comprenne le rapport; puis une vieille femme qui dort seule, comme la plupart de celles de son âge, la voix comme un haussement d’épaules elle dit “et c’est nous qu’on appelle le sexe faible”, et elle retourne se coucher; puis des formes géométriques – cercles, triangles, rayures – comme des tableaux de Kandinsky mais en noir et blanc.
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Premières pensées au réveil : l’article publié hier dans Haaretz, journal sérieux, au sujet de deux jeunes femmes se filmant durant leur service militaire, la première assise dans les ruines d’une mosquée à Gaza avec d’autres soldats rigolards vautrés dans des fauteuils et répliquant aux critiques en disant “peut-être commettons-nous un génocide, après tout ? mais après ce qu’ils nous ont fait, autant que ce soit eux plutôt que nous”, puis, en remettant une couche en se photographiant en tenue de soirée, verre de vin à la main avec le message “en route pour une conquête et pas de la Bande de Gaza, cette fois“; la seconde, d’abord photographiée à rigoler devant une prisonnière aux yeux bandés efface son compte devant les critiques et revient avec un nouveau où elle pose en bikini avec le message “sans terroriste dans l’arrière-plan.”
De commentaires, je n’en ai pas. Pour ce qui est des valeurs du judaïsme sur lesquels insistait Lévinas lorsqu’il parlait d’Israël, elles existent toujours chez ceux que le gouvernement moquent et ridiculisent, disant que ce sont ces “gauchistes” qui sont responsables de tous les malheurs pour s’être opposés…au gouvernement. Il ne fait pas bon avoir des valeurs et les affirmer en ce moment, ni là-bas, ni ailleurs; et ça, s’y soumettre, c’est mortel pour tout le monde.
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Macron recevait le dirigeant de l’OTAN et à ce sujet, je ne veux dire qu’une chose : si “dépenser plus” pour soutenir l’Ukraine et optimiser les défenses de l’Europe, c’est du sérieux et pas seulement du blabla pour nourrir les média, je suis pour; cela n’implique en rien de dégarnir les hôpitaux et les écoles, mais appelle certainement à plus de frugalité aussi bien à l’Elysée que dans ministères et au Sénat, et aux industries qui s’emparent des subventions avant de laisser les travailleurs en plan.
C’est tout. Rien d’autre à en dire.
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Comme la majorité des gens de nos générations, mes deux soeurs, mon frère et moi avons été éduqués sous le règne de la litote, cette figure de style qui atténue les expressions, soit pour en faire ressortir l’ironie ou au contraire, pour ne pas choquer. Ce qu’en anglais on appelle “understatement”, par exemple quelqu’un qui dit par -35°C “fait pas chaud, ce matin” et non pas “putain! on se les gèle !” ce qui semble plus habituel maintenant que l’emphase est de sortie.
Il n’y a pas que les Québécois adeptes de la litote. Hier soir, en relisant la saga de Grimr à la joue velue (écrite vers le 12e siècle), le héros tire une flèche sur Kleima, une tröll monstrueuse “qui en reçoit la mort”. Sa soeur Feima, tout aussi monstrueuse, se penche sur elle et dit : “Ça va mal, Kleima, ma soeur.” On pourrait dire ça, oui. (La joue velue en question est de naissance, y pousse un poil noir et dru qu’aucune arme ne peut pénétrer. Grimr à la joue velue est fils de Ketill le Saumon et il connaîtra une aventure semblable à celle de Papagueno dans La Flûte Enchantée, lorsque l’horrible sorcière, libérée du sortilège, redeviendra sa belle fiancée Lofthaena. Les choses ne se passent pas du tout comme ça dans L’Horloger des Brumes, mais c’est une lecture qui m’inspire quand même. Surtout en raison du sort horrible illustré ci-haut, auquel l’ingénieur des collines a échappé, grâce aux progrès pharmacologiques réalisés par sa soeur jumelle, L’Ogresse.
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L’heure tourne, le vol El Al de ma fille s’approche de Paris.
“With miles to go before I sleep.”
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Dreams : in the pasta section of a grocery store, long boxes de flat noodles – resembling lasagna half a meter long – all of them are torn or busted open. I find one that is open, show it to the shop owner who takes it with a resigned expression to store it with the other damaged goods, “you don’t seem surprised”, I tell her, “oh, you know, we’re next to three banks,” she says, but I don’t understand how this is relevant; then an old woman who sleeps alone as do most of the ones her age, with a voice like a shrug she says “and we’re the ones they call the weak sex”, and she goes back to bed; then geometrical shapes – circles, triangles, stripes – like works by Kandinsky but in black and white.
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First morning thoughts: the article published yesterday in Haaretz, a responsible newspaper, concerning the two young women who filmed themselves during their military service, the first one sitting in the ruins of a mosque in Gaza with other laughing soldiers sprawled out in armchairs and she, responding to criticism by saying “maybe we are committing genocide, after all ? But after what they have done to us, better them than us.” She then posted another image of herself in an evening gown and holding a glass of wine with the caption “I am here to conquer… and not the Gaza Strip this time;” the second one, first in a selfie, laughing in front of a blindfolded woman, erased her account when criticized who then came back with another in which she toot a selfie in a bikini with the words “this time without a terrorist behind me.”
I have no comments. As for the values of judaism on which Lévinas insisted when speaking of Israel, they still exist in those the government mocks and ridicules, saying that the “leftists” are the cause of all the problems because they opposed…the government. Sticking to values and affirming them is not comfortable these days, here nor elsewhere and that, if complied with, proves murderous for everyone.
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On Tuesday, Macron received the leader of NATO and on this topic I only have one thing to say: if ‘spending more’ in order to support Ukraine and optimize Europe’s defences is serious talk and not just blathering to feed the media, I’m all for it; that does not require in any way the laying bare of cupboards in the hospitals and in the schools, but it does certainly call for more frugality at the Elyséee as well as in the ministries and at the Senate and the handouts to industries who grab the money and stick the workers afterwards.
That’s all. I have nothing else to say about it.
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Like the majority of people of our generations, my two sisters, my brother and I were educated under the reign of the litote, that figure of style that attenuates expressions, either to underline their irony or, on the contrary, so as not to offend. What is known in English as as understatment, such as someone saying under -35*C weather “it isn’t warm, this morning” and not “damn we’re freezing our balls off !” which is more common in these days when emphasis is de rigueur.
The Québécois are not the only practitionners of the litote. Last night, while rereading the saga of Grimr with the hairy cheek (written around the 12th century) our hero shoots an arrow at Kleima, a monstrous tröll “who receives death from it”. Her sister Feima, just as monstrous, bends over her and says : “Things aren’t looking good, my sister.” You might say that, yes. (The hairy cheek in question is from birth, it grows a thick black hair that no weapon can penetrate. Grim of the hairy cheek is the son of Ketill the Salmon and will have an adventure similar to that of Papagueno in The Magic Flute when the horrible witch, freed from the spell, will turn into his beautiful fiancée Lofthaena. Things don’t happen at all like that in L’Horloger des Brumes, but it’s a reading that inspires me nonetheless. Especially for the horrible fate illustrated above and to which the engineer has escaped thanks to pharmacological progress attained by his sister, the Ogress.
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The clock moves on, my daughter’s El Al flight is approaching Paris.
“With miles to go before I sleep.”