
Rêves : d’abord, je suis en train de dire à Elon Musk qu’il est un menteur et un faux cul; je me réveille en me disant que pareilles évidences ne méritent pas qu’on leur gaspille du temps de rêve; je me rendors et je suis dans une ville inconnue avec un couple d’amis. Le mari doit déposer sa voiture à u garage pour une réparation et nous devons attendre, assis sur de longs bancs avec plein d’autres gens. Je me tourne vers la personne assise à ma droite et je reconnais l’homme qui fut “mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour” impossible en Israël. Je prononce son nom, il me regarde et met un moment à me reconnaître.. Nous partons nous promener ensemble, il a un nouveau travail dans une université à Philadelphie, je crois, mais ne me dit jamais s’il est encore en couple avec son épouse de l’époque. Nous revenons à un autre garage, il s’en va, et je me rends compte que je n’ai pas le numéro de téléphone de mes amis et que je suis perdue dans cette ville. J’erre en serrant contre moi un livre qui m’est précieux; à un moment, en jetant un oeil par-dessus une balustrade très élevée, je l’échappe et le livre disparaît dans un trou. Je ne le retrouverai jamais, pas plus que mes amis, et je me réveille, perdue dans cette ville inconnue.
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Ceci, noté hier : Depuis plusieurs jours sur facebook, autour de la page d’une jeune femme qui soutient l’Ukraine, il se passe un mini-festival du masochisme auquel je ne comprends pas grand chose. Le tout a débuté lorsque cette aimable personne a “avoué” se sentir terriblement coupable lorsqu’elle se rend compte qu’il s’est passé une autre horreur en Ukraine pendant qu’elle était occupée à autre chose. Et là, en commentaire, d’autre se “confessent” de ce même crime, parle du sentiment de culpabilité qui les terrasse. Mais de quoi parlent-ils ? Doit-on adopter le cilice ? Entreprendre une grève de la faim comme “preuve” de notre infini compassion pour les Ukrainiens? On va s’interdire de rire, de porter attention à ce qui nous entoure comme si, par un effet magique, cette attention de chaque instant créerait un égrégore miraculeux nourri par la culpabilité la plus poignante qui soit ? Mais pour qui se prend-on, au juste ? Des réincarnations de Thérèse d’Avila, mâtiné d’un Saint Sébastien ou autre, peut-être ? Personnellement, je n’éprouve pas un gramme de culpabilité concernant les crimes commis par d’autres, ça me semble même un non-sens complet. De la colère, oui, de l’indignation, de la tristesse, du chagrin, certes. En raison de quoi, je fais le peu que je peux financièrement, j’informe, je traduis et je partage les infos qui me semblent pertinentes, je donne un coup de main là où je le peux. Que puis-je faire d’autre ? Me rendre malade ? Jouer à Jésus est mort pour les péchés que je n’avais pas encore commis, oh voyez comme j’en suis malheureuse ? En quoi cela servira-t-il la “cause” de la victoire ? Ça guérira les Méchants, peut-être ?
Non, vraiment, je passe outre et je laisse les autres à leur culpabilité bizarre. Errance dans un monde inconnu, en effet.
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Pendant ce temps, la situation se détériore de plus en plus en Cisjordanie, les boute-feu de Netanyahou se déchaînent à plein pour rendre le malheur inextricable. Telle est la réalité qu’il n’est pas en mon pouvoir de changer.
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Hier soir, j’ai relu Le Dernier Départ de Guennadi Aïgui* et la pièce Requiem de Léonid Andreïev**. La vie me fait penser à une bulle de savon posée sur un monceau de gravats. Les deux, aussi réels l’une que l’autre.
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…et au mot “avenir”, des essaims de
souris surgissent de la langue russe,
rongeant un bout de mémoire bien rassise,
deux fois plus troué qu’un vrai fromage.
Tant d’années plus tard, peu importe qui
ou quoi se tenait dans l’angle, enfoncé sous
des rideaux épais
et dans ta tête ne résonne pas un “do” angélique,
rien d’autre que leurs froissements. La vie
que nul n’ose estimer comme la mâchoire
du cheval donné, grimace de toutes ses dents à
chaque rencontre. Ce qu’il reste d’un homme
se résume à un fragment. Sa partie vocale. Partie du discours.
Joseph Brodsky, Partie de Discours.
Ce qui rend le fait d’écrire une aventure vachement compliquée.
*Guennadi Aïgui, Le Dernier Départ, traduction et postface d’André Markowicz, Éditions Mesures, 2019
**Léonid Andréïev, Ékatérina Ivanovna suivi de Requiem, traduction d’André Markowicz, Éditions Mesures, 2021
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Dreams : at first, I’m telling Elon Musk he is a liar and a fraud; I wake up telling myself there’s no point in wasting dream time on such obvious things; I go back to sleep and dream I am in an unknown town with a couple of friends. The husband must drop off the car in a garage and we must wait for it, sitting on long benches with other people. I turn toward the person sitting on my right and recognize the man who was my “precious, tender, most wonderful” and impossible love in Israel. I say his name, he looks at me and doesn’t recognize me right away. We go off walking together, he has a new job in a university in Philadelphia, I believe, but never tells me if he is still married with his wife of those years. We return to another garage, he leaves, and I realize I don’t have the phone number for my friends and that I am lost in this town I wander about holding tightly to a book that is precious to me; at one moment, while taking a look over a balustrade high up, I drop it and the book disappears in a hole. I will never find it again, no more than I will my friends and I wake up, lost in this unknown town.
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This jotted down yesterday:
For several days now on facebook around the page of a young woman supporting Ukraine, there’s a mini-festival of masochism going on to which I don’t understand much of anything. It all started when this kindly person “admitted” feeling terribly guilty whenever she discovered a new horror had occurred in Ukraine while she was busy with something else. There then follows “confessions” from others guilty of this same crime, who talk about the guilt feelings that weigh them down. But what are they talking about? We must adopt hair shirts ? Go on hunger strike as “proof” of our infinite compassion for Ukrainians ? We must stop laughing, or of paying attention to what is going on around us as if, by some Magick, this attention at each moment would create a miraculous egregore fed by the most poignant guilt imaginable ? But who do we think we are, exactly ? Reincarnations of Theresa of Avila, blended with some Saint Sebastian or other, maybe ? Personally, I don’t feel so much as a gram of guilt over crimes committed by others, this strikes me as total nonsense. Anger, yes, indignation, sadness and grief also. Over which I do what I can financially, I keep informed, I translate and share information that strikes me as relevant, help out wherever I can. What more can I do ? Make myself sick? Play at Jesus died for the sins I hadn’t committed yet, oh see how miserable I am over it ?How will that serve the “cause” of victory ? Cure the Evil Ones, maybe ?
No, truly, I walk on by and leave others to their bizarre guilt-fest.
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Meanwhile, the situation keeps on getting worse on the Western Bank, Netanyahu’s firebrands are rampaging in order to make the misery inextricable. Such is the reality I have no power to modify.
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Last night, I re-read Guennadi Aïgui’s Le Dernier Départ and the play Requiem by Leonid Andreyev. Life reminds me of a soap bubble atop a mass of rubble. Both as real, one as the other.
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… and when “the future” is uttered, swarms of mice
rush out of the Russian language and gnaw a piece
of ripened memory which is twice
as hole-ridden as real cheese.
After all these years it hardly matters who
or what stands in the corner, hidden by heavy drapes,
and your mind resounds not with a seraphic “do,”
only their rustle. Life, that no one dares
to appraise, like that gift horse’s mouth,
bares its teeth in a grin at each
encounter. What gets left of a man amounts
to a part. To his spoken part. To a part of speech.
Joseph Brodsky, Part of Speech
Which turns writing into a damn tricky business.