
Rêve: transformant les mots d’un poème par Joseph Brodsky, une femme leur faisait dire : ô les arbres que j’ai connus, comme j’honore votre mémoire.”
L’extrait du poème véritable, lui, se lit comme suit :
Le Laocoon d’un arbre, se délestant de la montagne,
glisse ses épaules sous un nuage énorme. Du cap
viennent les sautes d’un vent aigre. La voix en gémissant
veut retenir les mots dans les bornes du sens.
Il pleut à verse; des lanières torses
fouettent le dos des collines, comme des épaules. aux bains.
La Médhiverannée frémit derrière des moignons de collines,
comme une langue salée derrière des dents ébréchées.
Le coeur ensauvagé bat bien encore pour deux.
Le chasseur sachant chasser cherche la pierre qui roule.
Imobile est demain au-delà d’aujourd’hui,
comme l’attribut derrière le sujet.*
Joseph Brodsky, dans Partie du Discours
(traduit par Véronique Schiltz)
*Joseph Brodsky, Vertumne et autres poèmes, traduits du russe par Hélène Henry, André Markowicz et Véronique Schiltz, nrf Gallimard, 1993
Ensuite, j’ai dormi et je me suis réveillée à l’aube pour écouter le discours (excellent) de Kamala Harris acceptant la nomination des délégués. Puis j’ai laissé la Convention à l’extravagance de ses 100 000 ballons bleus, blancs et rouges, descendant sur la foule dans une liesse de bonheur et d’espoir. Le vrai travail s’annonce tout le contraire d’une fête d’anniversaire pour gamins.
Il n’en demeure pas moins que les mots peuvent, littéralement, fournir le verbe liant le sujet à son attribut.
*
(Plus tard)
Après une lente re-lecture du poème, il me faut bien reconnaître que je préfère la traduction anglaise à la traduction française. Les questions de rythme entre les sonorités, c’est loin d’être évident. Mais c’est le cas, notamment sur les mots :
la liberté,
c’est d’oublier le prénom du tyran,
et la salive dans la bouche est plus sucrée que du halva du Shiraz,
et bien que le cerveau se torde comme la corne d’un bélier,
rien ne perle au bord de l’oeil bleu.
*
Ah. Dans une note sur The Poetry Foundation, on explique que pour ce poème, notamment, Brodsky a recueilli l’ensemble des traductions réalisées en anglais et les a amendées pour qu’elles se rapprochent de l’original. La traduction française de Véronique Schiltz n’a pas bénéficié de ce même privilège.
*
Dream : transforming the words from a poem by Joseph Brodsky, a woman had them say: “O trees I have known, how I honor your memory”.
The excerpt from the real poem reads like this:
The Laocoön of a tree, casting the mountain weight
off his shoulders, wraps them in an immense
cloud. From a promontory, wind gushes in. A voice
pitches high, keeping words on a string of sense.
Rain surges down; its ropes twisted into lumps,
lash, like the bather’s shoulders, the naked backs of these
hills. The Medhibernian Sea stirs round colonnaded stumps
like a salt tongue behind broken teeth.
The heart, however grown savage, still beats for two.
Every good boy deserves fingers to indicate
that beyond today there is always a static to–
morrow, like a subject’s shadowy predicate.
Joseph Brodsky, A Part of Speech
Then I went to sleep and woke up at dawn to listen to Kamala Harris’ (excellent) acceptance speech. After which I left the Convention to its extravaganza of 100 000 red white and blue balloons drifting down from the rafters on the crowd, delirious with hope and happiness. The real work promises to be the very opposite of a kid’s birthday party.
But words can, literally, provide the verb linking subject to predicate.
(Later, after re-reading the poem slowly, I have to say the English translation “reads” better for me than the French one. Matters of rhythm between sounds themselves is far from being an obvious thing. But such is the case, notably, on these lines:
Freedom
is when you forget the spelling of the tyrant’s name
and your mouth’s saliva is sweeter than Persian pie,
and though your brain is wrung tight as the horn of a ram
nothing drops from your pale-blue eye.
*
Ah. In the note on The Poetry Foundation, I read that “In A Part of Speech (Farrar, Straus and Giroux, 1980),Brodsky gathered the work of several translators and made amendments to some of the poems in an attempt to restore the character of the originals. Véronique Schiltz’s French version did not have the benefit of such a privilege.