17 juillet 2024

Rêves: un bébé dormait. Longue discussion : fallait-il le réveiller, oui ou non ? Puis un long exposé qui ressemblait à un texte d’Hannah Arendt, mais concernant la situation actuelle, et dont je ne me souviens plus d’un traître mot.

*

C’est très curieux, le fonctionnement des associations hors-champ du cerveau éveillé – je veux dire, dans le monde du rêve. Non, je devrais dire plutôt dans le monde liminaire entre les deux où l’écriture peut se produire. Au réveil, après avoir noté les rêves dans mon cahier, je constate une référence à Arendt dans un article de ce blog lu par quelqu’un hier ou cette nuit, who knows.

Et les références aux sirènes. Dans le Sonnet 119 cité (et traduit par André Markowicz et Françoise Morvan, mentionné sur sa page facebook, ce matin); celle dans le rêve (cauchemar) de Dante, et celles que Walter Benjamin mentionne dans son texte sur Franz Kafka. Je le cite ici in extenso parce que ça résume quelque chose d’essentiel (qu’on trouve aussi dans le Sonnet 119):

“Chez Kafka, les Sirènes se taisent. Peut-être aussi parce que, chez lui, la musique et le chant sont une expression, ou du moins un gage de l’évasion. Un gage de l’espoir qui nous vient de ce petit monde intermédiaire, à la fois inachevé et quotidien, à la fois consolateur et inepte, où les aides sont chez eux. Kafka ressemble à ce garçon qui partit un jour pour apprendre la peur. Il arrive au palais de Potemkine, mais finalement, dans les trous de la cave, il tombe sur Joséphine, cette souris chantante, dont il décrit ainsi la mélodie : “Il y a en elle quelque chose de notre pauvre et courte enfance, quelque chose du bonheur aussi de notre vie présente, de nos activités du jour, de leur petite gaillardise inexplicable, réelle cependant, qui résiste à tous les maux.” (Référence à “Joséphine la cantatrice ou le Peuple des souris” de Kafka).*

*Walter Benjamin, dans Oeuvres tome II, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, folio Gallimard 2000

*

Et le sonnet 119:

Oh, j’en ai bu, des larmes de sirènes

Que distillait l’alambic de l’Enfer,

Tombant de peine en joie, de joie en peine,

Et je me vois gagner ce que je perds !

Mon cœur a tant commis d’erreurs maudites

En se pensant béni comme jamais,

Mes yeux, astres sortis de leur orbite,

Ont tant erré, déments, dans ces accès !

Bienfait du mal ! Je le vois aujourd’hui, 

Le mal rend le meilleur meilleur encore 

L’amour en ruine une fois reconstruit 

Est plus beau et plus grand, il est plus fort.

 Morigéné, je retourne à ma joie 

 Et, par ces maux, mes gains ont crû trois fois.**

*

What potions have I drunk of Siren tears,

Distilled from limbecks foul as hell within,

Applying fears to hopes, and hopes to fears,

Still losing when I saw myself to win!

What wretched errors hath my heart committed,

Whilst it hath thought itself so blessed never!

How have mine eyes out of their spheres been fitted,

In the distraction of this madding fever!

O benefit of ill! now I find true

That better is by evil still made better;

And ruined love, when it is built anew,

Grows fairer than at first, more strong, far greater.

   So I return rebuked to my content,

   And gain by ills thrice more than I have spent.**

**William Shakespeare, Les Sonnets, Traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, Introduction de Françoise Morvan, Édition bilingue, Éditons Mesures 2023

Dreams: a baby was sleeping. Long discussion: to wake him or not? Then, a long presentation that resembled a text by Hannah Arendt, but concerning the current situation, and of which I don’t remember a single word.

*

It’s really odd, the way associations work outside the field of the waking brain – I mean, in the world of dream. No, I should say in that liminal world between the two where writing can occur. After jotting down the dreams in my notebook, I see someone, yesterday or during the night, who knows, read an article on this blog with a reference to Arendt.

And the references to sirens. In Sonnet 119 quoted (and translated) by André Markowicz and Françoise Morvan, mentioned on his facebook page this morning); the one in Dante’s dream(nightmare), and the one Walter Benjamin mentions in his text on Franz Kafka. I’m quoting it here at length, because it pretty much summarizes something essential (also found in Sonnet 119):

“In Kafka, the Sirens are silent. Perhaps also because, with him, music and singing are an expression, or at least a promise of escape. A pledge of hope that reaches us from the tiny intermediate world, both unfinished and quotidian, both consoling and inept, where the aids are at home. Kafka is like that little boy who took off one day to learn fear. He arrives in Potemkin’s palace but in the end, in the holes in the cellar, he comes across Josephine, that singing mouse, whose melody he describes as follows: “There is something in it of our poor and short childhood, something of the lost happiness we will never find again, and something also of our current life, of our daily activities, of their small bits of jauntiness, inexplicable yet real nonetheless, that resist all ills.” (A reference to Kafka’s Josephine the Songstress or the Mouse Folk.)

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