10 juin 2024

Rêve: à la fin d’un meeting, je cours après Rafael Glucksman pour lui serrer la main. Très pressé par un autre rendez-vous, il se retourne en courant pour me parler. Je le rejoins pour la poignée de main et dans ses yeux, je reconnais quelque chose ou quelqu’un de très ancien. Puis, je me retrouve à la même table qu’un groupe de ses parents et amis; je fais très attention de ne pas insister sur ma présence à sa table, en me concentrant sur le jeune garçon à côté de moi.

En me réveillant, le premier sentiment est un rappel de la scène à Montréal en 1985, le soir des résultats sur le référendum. Je venais de vivre 30 jours à bord de l’autobus des journalistes suivant la campagne, où je représentais Lucien Bouchard, chargée de relayer les commentaires des médias à son équipe pour les rajustements éventuels lors du point de presse suivant. Le soir du vote, on m’avait assignée à la section des médias internationaux (parce que je parle anglais). Ma réaction au discours de Macron hier soir, assignant la responsabilité de l’avance du RN à une montée générale de l’extrême-droite en Europe (comme si ses choix gouvernementaux n’étaient pour rien pour ce qu’il en est ici en France, et annonçant la dissolution du gouvernement en vue d’élections le 30 juin comme s’il s’agissait d’une partie de poker menteur): le même sentiment que la brûlure de la honte devant les médias du monde entier, quand un Jacques Parizeau, visiblement fortement alcoolisé, avait fait porter le blâme de la défaite sur le “vote ethnique de Montréal“, alors que la baisse s’était enclenchée avec le résultat du vote des fonctionnaires de la ville de Québec, qui avaient clairement annoncé lors d’une rencontre (j’y étais, je les ai entendus dire qu’ils feraient “payer” au Parti Québécois le résultat des négociations salariales et , alors que je marchais aux côtés du Ministre de l’Education, un des négociateurs pour un syndicat d’ enseignants lui avait craché au visage.)

Alors, merci à la personne qui a consulté hier soir une chronique du 5 janvier 2017 sur ce blog, où je cite un passage du livre d’Asli Erdogan “Le Silence même n’est plus à toi“, pour ce rappel de mes propres commentaires dans cette chronique : “En me souvenant des mots de ceux qui avaient connu pire et qui disaient qu’il faut  bien examiner l’obstacle, puis garder le regard fixé au-delà de lui.” (Tout comme on le fait sur la poutre ou la corde raide, où garder les yeux fixés sur ses pieds garantit la chute.)

Ce qui m’a amenée à revisiter la chronique précédente, celle du 4 janvier 2017, citant en anglais un passage que j’avais retiré d’une nouvelle que j’écrivais alors (je ne me souviens plus laquelle). En français, ça donne :

« Le truc, dit-elle, c’est que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. Pour le bon leader ,le bon amant, le bon saveur qui nous lavera de tous nos péchés. Quoique nous ayons à faire, nous devons le faire maintenant. Et si cela signifie que nous n’arriverons pas à compléter même la moitié de ce que nous espérions réaliser, cela voudra seulement dire que nous ne sommes ni aussi intelligents ni aussi stupides que nous le pensions. »

« C’est terriblement déprimant », lui répondit-il.

« Déprimant ? A un moment pareil, qui a le temps d’être déprimé ? Pendant que tu y es, ça t’embêterait de m’apporter un café ? Je dois terminer mes horaires de cours. » 

*

Rappels :

  1. celui d’une phrase lue dans l’un des romans d’André Malraux, lorsque j’avais 16 ou 17 ans. “Ils sont plus attachés à leur protestation que décider à vaincre.” À l’époque, cette phrase m’avait semblé une condamnation terrible; évidemment que de gagner devait l’emporter sur toute autre considération, me disais-je alors. Mais non. En y songeant maintenant, il me semble que la valeur et la qualité de la protestation est ce qui importe le plus.
  2. Celui d’une phrase que j’ai rajoutée à la fin de chronique Antique Nuit dans ma copie fortement annotée de Le silence même n’est plus à toi. Asli vient de conclure la chronique sur une citation du poète péruvien César Vallejo : “La colère du pauvre oppose deux fleuves à une mer…Un acier à deux poignards…” J’y ai rajouté le commentaire suivant: “Et encore. L’acier du pauvre n’a pas de manche.Pour chaque coup porté, il déchire sa propre paume.”

*Asli Erdogan, Le silence même n’est plus à toi, chroniques traduites du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, Actes Sud,2017.

*

Dream: at the end of a meeting, I run after Rafael Glucksman to shake his hand. Very rushed for another meeting, he turns around and talks to me as he runs. I catch up with him for the handshake and in his eyes, I recognize something or someone very ancient. I then find myself at the table with a group of his parents and friends; I’m careful not to insist on my presence at his table, and concentrate on a young boy sitting next to me.

Upon waking, the first feeling was the reminder of the scene in Montreal in 1985, on the night of the results of the referendum. I had just spent 30 days abord the bus with the journalists covering the campaign, where I was assigned to Lucien Bouchard and relaying media commentary to his team so whatever adjustments needed to be made could be included at the next scrum. On the night of the vote, I was assigned to the international media section (because I speak English). My reaction to Macron’s speech last night, placing responsibility for the advance of the RN to a general rise of the extreme-right in Europe, (as if if his policy choices were for nothing in what is now the situation in France, and announcing the dissolution of the government for an election on June 30th as if the whole thing was nothing but a game of bluff): the very same feeling of the burning shame I experienced in front of the media, when a visibly inebriated Jacques Parizeau laid the blame on “Montreal’s ethnic vote” when the dip began when the results were announced for the votes from the civil servants in Québec who had clearly announced at a meeting (I was there, I heard them say they would make the Parti Québécois “pay” for the result of the salary negotiations and, while I was walking by the side of the Education Minister, a negotiator for one of the teachers’ Unions had spat in his face.)

So, thanks to the person who consulted a column from January 5th 2017 on this blog last night, one where I quote a passage from Asli Erdogan’s “Le Silence même n’est plus à toi” (Even silence is no longer your own), for the reminder of my own comments in that column: “Remembering the words of those who lived throuhg much worse and who said you must always carefully examine the obstacle, then keep your eyes focused beyond it.” (Same as you do on the balance beam or the tight rope, where looking down at your feet guarantees a fall.)

Which led to my revisiting the previous column, that of January 4th 2017, quoting an outtake from a story I was writing at the time (I don’t remember which one.) :“Thing is”, she said, “we can’t afford the wait anymore. For the right leader, the right lover, the right savior who’ll wash all our sins away. Whatever we need to do, we need to do now. And if that means we don’t manage to do even half of what we expected to achieve, that will only mean we’re neither as clever nor as stupid as we thought.”

“That’s awfully depressing,” he answered.

“Depressing? In the right now, who has time for depression? While you’re up, mind bringing me a cup of coffee? I have to finish my class schedules.”

*

Reminders

  1. that of a sentence read in one of André Malraux’s novels when I was 16 or 17. “They are more attached to their protest than committed to winning.” At the time, that sentence struck me as a terrible condemnation; obviously, I thought, winning mattered over every other consideration. But no. Thinking about it now, it seems to me that the value and quality of the protest matters even more.
  2. That of a sentence I added at the end of the column Antique Night in my heavily annotated copy of Even silence is no longer your own. Asli Erdogan has just ended the column on a quote by the Peruvian poet Cesar Vallejo : “La colère du pauvre oppose deux fleuves à une mer…Un acier à deux poignards…” (“The anger of the poor opposes two rivers to a sea…An iron made of two daggers.”) To which I added the following comment in French: “Still and all. The iron of the poor has no handle. For each blow he strikes, he tears open his own hand.”

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