
Misère, moi qui croyais éviter des souffrances aux souris se laissant apppâter par un peu de beurre d’arachide à l’intérieur des petites cages, c’est bien raté. La première à se laisser tenter ainsi s’est retrouvée la queue coincée, puis une patte prise dans le grillage , le museau coincé de l’autre côté, et bien amochée sans que je parvienne à la dégager. Finie la notion champêtre d’un lâcher en pleine nature – va, petite bête et trouve ton bonheur ailleurs que chez moi. Le carnage, en fait. Massacre à la tronçonneuse, version rongeur. J’en ai passé la nuit à espérer que le second piège n’attirerait aucune bestiole (voeu réalisé). C’est on ne peut plus brillant de ma part.
Et, pour l’heure, labo à jeun pour prises de sang. Ça tombe bien, je n’ai pas faim .
Il pleut.
Le petit dej se prendra dans une des boulangeries industrielles près du labo, munie d’un cahier et d’un stylo. Puis, photocopie de notes pour les divisions temporelles entre les divers récits dans L’Horloger des Brumes.
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Hier, sur Médiapart, je suis tombée sur un article suivi de commentaires concernant des écrivains “transfuges de classe”. La notion même me paraît loufoque, comme si l’espace mental dans ce pays en était encore à considérer qu’un paysan se devait d’épouser une paysanne, un noble ne pouvait pas se déshonorer en épousant une roturière, ah non, madame, il ne saurait en être question ! Ce serait déshonorer ma classe que de la trahir ainsi ! “Transfuge de classe”…non mais.
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8h55 – face au labo, je suis à manger un croissant industriel plus gonflé d’air qu’une baudruche, tout en notant certains des aphorismes d’un certain Gilles Morel, danseur de claquettes, décédé dans la Vallée des Brumes, soit dans la seconde moitié de l’an 1970 ou au début de 1971. Je lève la tête, me sentant observée. Un beau jeune homme au regard très doux me regarde et me demande d’une voix incertaine : “Vous me reconnaissez ?” Et comment donc que je reconnais ce regard ; M venait en accompagnement scolaire avec sa petite soeur, il y a dix ou douze ans de cela. Ils avaient perdu leur père dans des circonstances dramatiques et le garçon de dix ans restait assis sans parler pendant que la petite soeur s’acharnait sur les tables de multiplication. Un jour, il a pris une feuille de papier et s’est mis à dessiner. Un cimetière sans croix; son oncle, m’a-t-il expliqué, lui interdisait le dessin de croix. Alors je suppose que c’est le subterfuge qu’il avait trouvé pour dessiner un cimetière quand même. C’est tout. Ensuite, il a commencé à tenir compte de ses devoirs et de ses leçons. Je ne l’avais pas revu depuis ce temps. Il se souvient encore de ces séances, me dit-il, et sa soeur sera contente quand il lui dira que je lui envoie mes salutations.
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Misery, there I was thinking I’d avoid suffering to the mice taking the bait of a bit of peanut butter inside the little cages, so much for that fantasy. The first mouse to let itself be thus tempted ended up getting its tail stuck in the door, a paw caught in the wiring and its snout on the other side, thoroughly messed up without my being able to free it. So much for the fields and streams notion of releasing it outside – go, little beastie and find your happiness elsewhere than in my home. A carnage is what it was. A Chainsaw Massacre, rodent style. I then spent the night hoping the second trap wouldn’t attract any beastie whatsoever (it didn’t). How brilliant is that.
For now, getting ready for blood tests at the lab on an empty stomach. Fine by me, I’m not hungry.
It’s raining.
Breakfast – with a notebook and ballpoint – will be in one of the industrial bakeries near the lab. Then, photocopied notes for the time divisions between the various stories in the Fog Watchmaker.
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Yesterday on Médiapart, I came across an article followed by comments about writers who were “class defectors”. The very notion struck me as ludicrous, as if the mental space in this country still was one where a peasant had to marry a peasant, a noble would never have dishonored himself by marrying a commoner, oh no, Madame, there can be no question of it ! It would be dishonorable to thus betray my class! “Class defectors”… I mean, really.
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8:55 AM In the bakery facing the lab, I’m eating an industrial croissant filled with more air than a balloon while jotting down aphorisms by one Gilles Morel, tap dancer, dead in the Valley of Fogs at some point late in the year 1970, or early in 1971. I look up, feeling observed. A good looking young man with ever-so kind eyes says : “Do you recognize me ?” And yes, I sure do recognize those eyes : he used to come to remedial schooling with his young sister some ten or twelve years ago. They had lost their father in dramatic circumstances and the ten-year old boy would sit without talking while his sister struggled through the multiplication tables. One day, he took a sheet of paper and drew a cemetery without any crosses; his uncle, he told me, had said drawing a cross was forbidden, so I guess this was the ploy he’d worked out in his mind in order to draw a cemetery anyway. That’s all. After that, he started paying attention to his homework. I hadn’t seen him since then. He still remembers those sessions, he tells me, and his sister will be glad to hear I said I was sending my greetings.