17 février 2024

Je crois que c’est dans Kertesz – oui, vers la fin du roman Le Refus – que je lis ce que je considère être la meilleure définition possible de la lâcheté. La lâcheté, écrit Kertesz, c’est “la crainte de la peur”.

Ça m’est revenu hier, en voyant un court extrait d’une vidéo de la dernière comparution de Navalny devant la cour, la veille de sa mort. Lui dans le Grand Nord, le juge et un autre officier de la cour dans un salle vide, ces deux derniers riant avec Navalny de l’une de ses dernières facéties dans son témoignage par vidéo. Ils le comprennent bien, tous – le prisonnier, le juge, l’officier de la cour – qu’ils sont dans une mise en scène. Ils savent bien – le juge et l’officier – que Navalny est détenu parce qu’il n’accepte pas de jouer le jeu. Ils le trouvent sympa, au fond, là n’est pas la question. Mais ils ont peur de la peur. Et pour eux, la peur des conséquences, très réelle, n’est pas loin. Ce qui fait que la lâcheté est une notion à variable très, très étendue.

Pendant ce temps, de très, très grands pleutres – je parle des représentants Republican au Congrès américain – sont partis pour deux semaines de vacances, sans prendre de décision concernant l’aide financière à l’Ukraine. Leur patron vient d’être condamné dans l’une des multiples affaires criminelles en cours ? Ces messieurs, incertains de comment la donne va se présenter dans les prochains jours, ont préféré se retirer de la scène, le temps de savoir à quelle sauce accommoder leur pleutrerie. Le plus triste dans l’histoire, c’est que lorsque la lâcheté atteint de telles proportions, elle semble se nourrir d’elle-même. Rares sont les personnes qui parviennent à y échapper dans un moment de lucidité. Dans un simple “mais, de quoi ai-je peur, exactement ?” suivi de la décision de s’assumer.

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Hier, deux heures passées avec N et une amie, à faire le point sur les priorités de survie pour elle et ses enfants, dans les jours, les semaines et les mois qui viennent. Le logement, priorité des priorités, le rendez-vous chez l’avocat (exploration des recours), l’organisation matérielle de sa vie et de celle des enfants en prévision d’un long cours difficile. Et, pour moi et mon amie, découverte plus approfondie de l’emprise qu’exerce la pratique de l’excision chez de nombreuses familles, quoiqu’en dise la loi du pays. Avec, même pas sous la surface, la peur entretenue par “les sorts” jetés sur les femmes ne se pliant pas à la tradition. N est une catholique pratiquante, mais “les sorts” dont on l’a menacée, elle et ses enfants, la font trembler à distance – je suis certaine que les trois juges de la Cour Nationale du Droit d’Asile ne peuvent même pas imaginer un univers auquel ils ne comprennent rien.

Tiendra-t-elle le coup ? Aucune idée. Elle veut protéger sa fille de ce qu’elle-même a dû subir à l’âge de six ans. Mais ce faisant, N est bel et bien entre l’arbre et l’écorce.

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I think it’s in Kertesz – yes, toward the end of the novel Fiasco – that I read what I consider to be the best definition possible of cowardice. Cowardice, writes Kertesz, is “being afraid of fear.”

It came back to me yesterday, watching a short excerpt of a video of Navalny’s final day in court, on the eve of his death. He was in the Far North, the judge and another officer of the Court in an empty chamber – the prisoner, the judge, the Court officer – all in a staged occurrence. They knew full well – the judge and the officer – that Navalny was detained because he refused to play the game. They liked him well enough, in fact, that wasn’t the point. But they were afraid of fear. And fear, of the very real kind, is never far distant for them. Which makes of cowardice a notion whose variables are very, very extended.

Meanwhile, very very big cowards – I’m speaking of the Republican representatives in the US Congress – have left for two weeks of holiday, without reaching a decision concerning financial aid for Ukraine. Their boss has just been sentenced in one of the many criminal cases against him? These gentlemen, uncertain of how things will play out in the upcoming days, preferred to move offstage, for a time-out spent in finding out with which gravy they should serve up their cowardice. The sad fact of the matter is that when it reaches such magnitudes, cowardice seems to feed on itself. Rare indeed is the person who manages to snap out of it and see the light of day. In a simple “But…what am I afraid of, exactly ?” and the decision to take responsibility for themselves.

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Yesterday, two hours spent with N and a friend, organizing survival priorities for her and her children for the difficult days, weeks and months to come. And, for myself and my friend, learning more deeply about the hold on many families concerning the practice of excision, no matter what the law may say in the country. With, not even under the surface, the fear kept alive of the “magic spells” afflicting women who don’t yield to tradition. N is a practicing Catholic, but the simple mention of the spells threatening her and her children leave her quaking at a distance. I’m sure the three judges at the National Tribunal for the Right to Asylum cannot even begin to imagine a world they don’t understand in any way.

Will N stay the course ? I have no idea. She wants to protect her daughter from what was imposed on her when she was six years old. In doing so, she is truly between a rock and a hard place.

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