
Le plus difficile ? Le sentiment d’impuissance. La certitude de cette impuissance. Et la question inévitable que cela soulève : on fait quoi d’une impuissance aussi puissante ?
Pour l’heure, la seule chose que j’ai faite, ces derniers jours, ce fut de racheter les deux volumes de Crime et châtiment* qui s’étaient égarés dans l’un de mes innombrables déménagements, et de les relire entre mes séances alternées d’éternuements et de sommeil. Un des livres les plus extraordinaires jamais écrits, à mon avis qui n’intéressera personne, mais ça, on finit par s’y faire.
Ce matin, trois jeunes viennent tourner des images pour leur documentaire de fin de programme consacré à la notion du temps chez les “personnes âgées”, comme on nous appelle. Je serai aimable, plus ou moins. Je veux dire, aimable à ma manière. Je souris quand je dis des vérités désagréables. J’en fais même des blagues.
Les informations ? Faut-il les qualifier de désastreuses ou de catastrophiques ? C’est au choix.
Oui, j’ai vraiment le sentiment de ramer contre un courant beaucoup plus fort que moi et contre lequel ma volonté ne peut rien. Alors ? Me transformer en bouchon de liège bondissant sur le courant ? C’est peut-être la seule solution.
Mais l’amertume, parfois, ce qu’elle peut être forte. La nier ne sert à rien. La lecture des désastres me submerge, ce matin. Qu’ils aient des noms, qu’ils soient anonymes, les morts s’accumulent pendant que le beau monde s’auto-congratule et prend la pose pour les photos; je les déteste absolument.
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Je sourirai aux jeunes gens, tout à l’heure ? Bien sûr, je leur sourirai. C’est une façon de ne pas hurler, puisque les hurlements ne servent strictement à rien.
*Dostoïevski, Crime et châtiment, volume 1 et volume 2, roman traduit du russe par André Markowicz, Babel, Actes Sud 1996
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The hardest? The feeling of powerlessness. The certainty of this powerlessness. And the inevitable question this raises: what do you do of such a powerful powerlessness?
For the time being, the only thing I did, these past few days, was to re-acquire the two volumes of Crime and Punishment that were lost in one of my innumerable moves and to read them again between my alternating episodes of sneezing and sleeping. One of the most extraordinary books ever written, in my opinion that will interest no one, but that’s something one gets used to, eventually.
This morning, three young people are coming over to film some images for their end of program documentary on the notion of time in “the aged”, as we are called. I’ll be gracious, kind of. I mean, gracious in my own way. I smile when I speak unpleasant truths. I even joke about them.
The news? Should they be qualified of disastrous or of catastrophic ? A matter of choice.
Yes, I really get the sense of rowing against a current much stronger than I am and against which my will can do nothing. So ? I should transform myself into a cork bobbing along on the stream? This might be the only solution.
But oh, the bitterness at times, how powerful it can be. Denying it is useless. The disasters have me overwhelmed, this morning. Whether they have names, whether they are anonymous, the dead accumulate while the glitzy ones self-congratulate and pose for their photo opportunities. I detest them, absolutely.
I will smile at the young people, later this morning? Of course, I will smile at them. It’s a way to avoid howling since howls are strictly useless.