
(L’arbre à kakis dans la cour de l’école de cirque/The persimmon tree in the yard at the circus school)
Ça n’est pas que je manque de mots, ce matin. Ni de mots, ni d’images des rêves de la nuit. Et si je jette un regard par la fenêtre, la lumière est somptueuse sur les arbres roussis de l’automne. Elles ont une belle mort, ces feuilles, vraiment. Elles s’accrochent, puis la branche les relâchent; elles tombent et voilà. Elles nourrissent l’humus. Des morts douces, tranquilles, normales. Le coup est prévu, l’arbre a préparé sa réserve de bourgeons enserrés dans leur coquille.
Et ça n’est pas une histoire que je raconte pour l’effet. Je prends ma copie d’Ombres de Chine et en la soulevant mon doigt se glisse entre deux pages. J’ouvre à cet endroit et je suis à la page 406 :
Je plante des arbres à fleurs sur le versant est de Pö-Chu-I, écrit en 820.*
Et quand le chagrin devient trop intense, j’écoute Boaz Charabi avec les familles des otages, parce que l’hébreu me touche là, précisément où me toucherait l’arabe, si la vie m’avait menée là où la douleur s’exprime dans cette langue. Certaines musiques, certains poèmes, certains chants sont des prières, même, peut-être surtout, pour les incroyants.
*André Markowicz, Ombres de Chine, Éditions inculte/dernière marge, 2018
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It’s not that I’m short of words, this morning. Not of words, nor of images from the dreams of the night. And if I glance out the window, the light is sumptuous on the rust-colored trees of autumn. They have a lovely death, those leaves, truly. They hang on, then the branch releases them; they fall and that’s it. They feed the humus. Gentle, quiet, deaths, normal. The event is planned, the tree has prepared its reserve of buds enclosed in their shell.
And this is not a story I’m making up for show: I pick up my copy of Ombres de Chine and in doing so, my finger slides between two pages. I open at that spot and I’m on page 406:
On the Eastern slope, I planted trees that blossom, written by Pö-CHu-I in 820.
And when the sadness becomes too intense, I listen to Boaz Charabi and the families of the hostages because the Hebrew language strikes a chord in me, precisely where Arabic would, had my life taken me where pain is expressed in that language. Certain musics, certain poems, certain songs are prayers, even or perhaps mainly for unbelievers.