7 octobre 2023

Souvent, quand j’observe les actes monstrueux commis contre les civils en Ukraine et que je lis les propos que tient Vladimir Poutine dans la foulée, j’ai l’impression qu’il cherche constamment à jauger jusqu’où il peut aller trop loin en utilisant l’argument nucléaire comme ferait le dragon avertissant “un pas de plus et je t’incinère”. Puis, il pousse l’horreur un peu plus loin encore.

Eh oui, encore et toujours, Le Dragon d’ Evgueni Schwartz*. Je l’ouvre et on y est, quand le bourgmestre fait une crise de nerf parce que Lancelot a défié le dragon, “…une catastrophe. Tout marchait comme sur des roulettes. M. le dragon, de par son influence, tenait en main mon assistant, et toute sa bande…Maintenant, tout sera sens dessus dessous.” Et il incite les habitants à exiger le départ de Lancelot. “Vous voyez ? dit le bourgmestre, si vous êtes humain et cultivé, soumettez-vous à la volonté du peuple !”

Vrai, on s’y croirait. Evidemment, nous n’en sommes pas encore à la conclusion. Nous en sommes au tout début de l’Acte II lorsque le dragon dit à Lancelot qu’il ne se battrait pas pour les habitants s’il voyait ce que lui, le dragon, a fait de leurs âmes. ll dit : “Tu coupes le corps en deux – le bonhomme crève. Mais si tu déchires l’âme, elle devient plus soumise, et voilà tout...Des âmes manchotes, des âmes cul-de-jatte, des âmes sourdes-muettes, des âmes à la chaîne, des âmes couchées, des âmes damnées….”

Et, bien sûr, je veux j’aimerais croire que l’histoire se terminera comme dans le conte de Schwartz et non pas comme Schwartz lui-même, ni son oeuvre, interdite en Union soviétique parce que porteuse d’une “idéologie bourgeoise et idéaliste”.

*Evguéni Schwartz, Le Dragon, conte en trois actes, traduction A. Markowicz, Les Solitaires Intempestifs, 2011

*

Ici, je relis les notes, lettres, articles de journaux, rapports administratifs de mes trois ans à travailler dans l’appareil militaire en Israël, de 1979 à 1982. Un récit se construit, mais il ne prend vraiment son sens qu’avec la conclusion que je ressens comme une plongée brutale hors du rêve et dans la face la plus odieuse de la réalité. Raison pour laquelle je ne suis pas encore parvenue à construire un récit cohérent de ce vers quoi ces trois années tendaient, alors que mon “âme” voltigeait, confuse comme un papillon de nuit égaré en plein jour.

Une journée à la fois, sans doute.

*

Often, when I see the monstrous acts committed against civilians in Ukraine and then read what Putin has to say in their stride, I get the impression he is constantly testing how far he can go too far, using the nuclear argument the way the dragon warns “one step more and I turn you to cinvers”. Then, he pushes the horror a bit further still.

Yes, over and over again, Evgueny Schwartz’ The Dragon. I open it and there we are, at the moment when the burgermeister has a fit because Lancelot has defied the dragon….”…a catastrophe. Everything was running so smoothly. Mr Dragon, through his influence, had my assistant well in hand, along with all his bunch…Now, everything will be a shambles.’ And he goads the townspeople to call from Lancelot’s departure. “You see? says the burgermeister, if your’re humane and cultured, submit to the will of the people!”

It’s like being there, all over again. Of course, we haven’t reached the conclusion yet. We are at the very beginning of Act II when the dragon tells Lancelot he wouldn’t fight for the people if he saw what he, the dragon, has done to their souls. He says: “You split the body in two – the guy croaks. But if you tear the soul, it becomes more docile, and that’s everything…Armless souls, legless souls, deaf and dumb souls, assembly line souls, sprawled out souls, damned souls…”

And of course, I would like to believe that the story will end like in the Schwartz’ tale and not like Schwartz himself or his work, prohibited in the Soviet Union, because it displayed a “bourgeois, idealistic” ideology.

*

Over here,I read through the notes, letters, newspaper articles, administrative reports from my three years of working in the military apparatus in Israel from 1979 to 1982. A story is taking shape, but it will only take on its meaning with the conclusion which I experience as a brutal plung out of dreamland into the ugliest face of reality. Reason for which I haven’t managed to build a coherent story yet of what those three years were leading up to, while my “soul” fluttered like a confused night moth exposed to the light of day.

One day at a time, no doubt.

Leave a comment