
D’une façon ou d’une autre, il faut bien se guérir, un jour…(J’ai fait cadeau d’une copie de Contes d’Exil à une amie, enseignante de profession qui a déjà décelé une erreur d’accords sur le 4e de couverture, et je lui fais entièrement confiance pour me signaler les autres que je n’ai pas vues.)
Se guérir de quoi ? De cette blessure, juste sous la surface, où j’imagine trop bien le sentiment de Tatiana après qu’Eugène Onéguine lui délivre ses “bons conseils” d’éviter à l’avenir “tant de candeur”.* Dans mon cas, ça n’est pas pour des raisons romantiques – mes 77 ans sonneront dans trois jours et de ‘romance’, je n’en recherche aucune. Non, c’est en lien avec un geste qu’on peut caractériser de “candeur” et qui rend la perspective de commentaires quasi insupportables, qu’ils soient critiques ou bienveillants. Me revient alors le souvenir d’un moment sur scène avec deux musiciens en accompagnement. J’avais, quoi ? 18 ? 19 ans ? Je venais de chanter Pauvre Rutebeuf et Papillon tu es volage. Les applaudissements m’ont tétanisée à tel point que je suis sortie de scène, les jambes flageolantes, incapable d’y retourner. Mes deux compagnons ont terminé le concert sur un pot-pourri musical. J’ai mis plus de 50 ans avant de chanter à nouveau en public et alors, au sein d’une chorale où les applaudissements ne risquaient pas de me singulariser.
Inexplicable ? Pas vraiment. Je n’aime pas la critique mais je la supporte mieux que son contraire; je m’y sens moins à risque – j’écoute, j’en retire ce qui est utile, reconnais ce qui doit être reconnu, et hausse les épaules pour le reste. Il y en a qui ont soif, et même besoin qu’on les mette en lumière et qui souffrent terriblement s’ils en sont privés; personnellement, ça me terrifie et je ne doute nullement que cela étonnerait ceux qui me voient faire des blagues et causer si facilement avec les uns et les autres. Il n’empêche que c’est comme ça et que ce “geste” fait partie d’une tentative d’accepter d’être “vue” sans craindre que le regard d’un autre ne représente une menace à mon intégrité physique. Pour les jeunes filles, il n’est pas toujours bon d’être “vue” et distinguée des autres, certaines “distinctions” laissant des cicatrices indélébiles. Chaque fois qu’un fragment de la blessure initiale fait surface, chaque fois qu’on se dit “ah oui, cette vieille histoire’ et bien, c’est signe qu’il est est temps de disposer d’un autre morceau du shrapnel émotionel.
*Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine, traduction André Markowicz, Babel Actes Sud, 2005
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Petite histoire de coquilles typographiques en lien avec ce qui précède: 1985, Yves Bérubé est ministre de l’enseignement supérieur, de la science et de la technologie dans le gouvernement du Québec et je suis son attachée de presse. Je prépare les communiqués pour une tournée à travers les. universités québécoises – un communiqué distinct annonçant la tournée, et un autre pour chaque université, tous sous le titre de Tournée du Ministre Yves Bérubé dans le réseau universitaire. Bien. J’écris, je vérifie, je re-vérifie, je remets au directeur de cabinet pour double et triple vérification, puis je prépare le bon à imprimer et je quitte le bureau tard dans la nuit pour aller me doucher, me changer et revenir quelques heures plus tard. Sur mon bureau: la pile des communiqués et là, je lis le titre général Tournée du Ministre Yves Brubé dans le réseau universitaire. Pourquoi ? Parce que sur les noms propres et les nombres familiers surtout, l’oeil glisse en pensant voir ce qu’il connaît déjà. (Corrections et ré-impressions en mode urgentissimo suivirent, évidemment.)
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Et donc, Avanti.
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One way or another, you have to heal yourself, some day… (I gave a copy of the book Tales of Exile to a good friend who is a teacher, she has already caught a grammatical error on the back cover, I completely trust her to catch the others I may have missed.)
Heal from what ? From that wound, just below the surface, from where I imagine only too well what Tatiana must have felt after Eugene Onegin’s “good advice” to avoid “such candor” in the future. In my case, it has nothing to do with romantic reasons – I’ll turn 77 in three days and of ‘romance’ I seek none. No, it has to do with a gesture one could label as “candor” that makes the perspective of comments almost unbearable, be they criticism or kindhearted. A memory floats up of a moment on stage with two musicians. I was, what ? 18 ? 19 ? I had just sung Pauvre Rutebeuf and Papillon tu es volage. The applause petrified me to such extent that I wobbled off the stage and was unable to return. My two friends finished the concert with a musical collection of medleys. It took me 50 years before I sang in public again, but in a chorus where the applause didn’t risk singling me out.
Unexplainable ? I don’t think so. I don’t like criticism but I bear up better under it than under its opposite. In a way, I feel less exposed when criticized – I listen, take in what’s useful in it, acknowledge it, and shrug off the rest. Some have a thirst, and even a need for the limelight; the exposure terrifies me and I don’t doubt this will be very surprising to those who see me joking and kibitzing with everyone. That’s the way it is, nonetheless, and that “gesture” is part of an attempt at accepting to be “seen” without fearing that being seen will turn into a threat to my physical integrity. For young girls, it is not always a blessing to be “seen” and singled out from the others, some such “distinctions” leaving indelible traces. Every time a fragment of the initial wound surfaces, every time you tell yourself ‘oh yeah, that old story’, well, it’s a sign the time has come to pull out another piece of the remaining emotional shrapnel.
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Brief anecdote about typos related to the above :1985, Yves Bérubé is Minister of Higher Education, Science and Technology in the Québec government and I’m his press aid. I prepare the press releases for a tour of Québec universities – a cover press release plus different ones for each university but all under the general heading Minister Yves Bérubé Tours Universities. Fine. I write, check and double-check, submit the whole thing to the chief of staff who okays everything, send it all off to the printer and go home in the wee hours for a shower and a change of clothes. Return to the pile of releases on my desk and read Minister Yves Brubé tours Universities. Why ? Because mainly on names and familiar numbers, the eye tends to slide over, thinking it sees what it knows already. (Corrections and reprints followed in urgentissimo mode, of course.)
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And so, Avanti.
Il a fallu que je le relise plusieurs fois avant de voir la coquille. Et oui, l’oeil voit, le cerveau interprète. Hugs
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exactement 🙂
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