
Plus jeune, lorsque j’ai découvert le poème d’Aragon Richard II Quarante (j’avais 15 ou 16 ans, je me souviens encore de l’emplacement du livre au rayon de la librairie à Montréal), je n’avais pas encore lu la tragédie de Shakespeare, alors je ne savais pas que le vers qui revient à la fin de chaque strophe provient de la tragédie . “Je reste roi de mes douleurs”, reprenant
You may my glories and my state depose,
But not my griefs; still am I king of those.
Parmi ces petits bonheurs fortuits, celui-là me fut rappelé à la mémoire à la lecture d’un extrait de la traduction française de la tragédie par André Markowicz, hier. (Relisant la tragédie, je me demande encore comment les acteurs parviennent à se mettre en mémoire des textes pareils.)
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Événement rarissime, hier, j’ai accompagné une amie au cinéma, voir Anatomie d’une chute de Justine Triet. Je passe sur quelques invraisemblances au niveau des scènes du tribunal, le scénario est excellent et les acteurs aussi. Bien que cela n’aie rien à voir, en regardant le jeu du jeune garçon, je pensais constamment au personnage de Karim dans Une Poule Avertie en Vaut Deux, le gamin qui affirme qu’il a tué son père abuseur et mis le feu à la maison, alors que sa mère affirme que c’est elle qui l’a fait; sans qu’on sache jamais lequel des deux ment pour protéger l’autre. C’est peut-être le point de convergence entre ce récit et le film: contrairement à l’univers de polars où les questions de bien et de mal se résolvent avec une rigueur mathématique, la vie, elle, oblige à naviguer dans l’imprécision et, souvent, en absence de réponses claires à des questions vitales. Décider, en l’absence de certitudes.
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When I was younger and discovered Aragon’s poem Richard II Quarante (I was 15 or 16 and still remember the place of the book on the bookshelf in a Montreal bookstore), I hadn’t read Shakespeare’s tragedy yet, so I didn’t know that the verse that marks the end of each stanza came from the tragedy. “Of my sorrows I remain the king” inspired by
You may my glories and my state depose,
But not my griefs; still am I king of those.
Among life’s tiny and delightful serendipities, this one was brought back to memory yesterday, in reading an excerpt of André Markowicz’ French translation of the tragedy. (Re-reading the play, I wonder yet again how actors manage to memorize such texts.)
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An extremely rare event, I went to the cinema with a friend yesterday, to see Justine Triet’s Anatomy of a Fall. I pass on a few implausibilities in the Court scenes, the script is excellent and so are the actors. Although it has nothing to do with the film, I kept thinking of the boy, Karim, in Once Bitten Twice Shy who claims he killed his abusive father and set the house on fire, while his mother claims she’s the one who did this; without it ever becoming clear which of the two is lying in order to protect the other. Perhaps that’s where the film and the story converge : contrary to “noir” novels where issues of good and evil are resolved with mathematical precision, real life forces you to navigate through imprecision and, often, in the absence of clear answers to vital issues. Deciding, in the absence of certainties.