18 août 2023

Le plus difficile, ça n’est pas de lire les opinions des vendus à la Russie poutinienne; le plus difficile, c’est de savoir comment ces opinions-là ont eu accès à la diffusion. Combiné aux articles comme celui du Washington Post faisant état des évaluations de la “communauté du renseignement américain” selon laquelle l’Ukraine n’atteindra pas avant longtemps l’objectif de sa contre-offensive : la reprise de Melitopol.

Dans le premier cas, nul besoin d’un état d’esprit “conspirationniste”, une fois connue l’identité des propriétaires des médias “mainstream”.

Dans le second, ce qui est certain, c’est que le journaliste a des contacts dans “la communauté du renseignement” – terme fort pratique à peu près équivalent du “je connais des personnes en haut lieu”. (Dans le cas présent, il s’agit d’un analyste militaire cité nommément, alors que le “le bureau du directeur du renseignement national n’a pas voulu répondre”. Ce qui donne droit au titre à l’emporte-pièce selon lequel “Le renseignement américain dit que l’Ukraine n’atteindra pas l’objectif essentiel de sa contre-offensive“. Frappant – et qui se donnera la peine d’évaluer l’évidence fournie ?)

Si on a le malheur d’avoir une connaissance personnelle de certains des moyens plus insidieux par lesquels on façonne l’opinion publique avec des pseudo-fuites bien calibrées, on a le lourd sentiment d’un aperçu sur la manière dont le désengagement s’introduit dans la narration.De quoi se réveiller à 3 heures du matin.

L’expérience personnelle consistant de trois ans de travail en Israël avec l’armée américaine et l’aviation militaire israélienne; autant à titre d’attachée de presse ministérielle au Québec – deux moyens garantis de faire perdre toute trace d’innocence et d’illusions concernant les coulisses de l’information distillée au public.

Un désengagement, ça se prépare, et les déclarations des loyaliste poutiniens avec droits d’accès aux médias n’en sont qu’un des aspects.

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Cela dit, c’est un combat ardu pour plus de raisons que je ne souhaite évoquer ce matin.

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Dans la pile de Télérama dépieutée cette semaine, l’un m’a permis de découvrir l’oeuvre extraordinaire d’Ivo Andric. Je lis Le Pont sur la Drina,* sur les habitants du village de Vilsegrad – musulmans, chrétiens et juifs – qui tous “préféraient une vie insensée à une mort insensée“. J’en suis au 19e siècle, alors Sarajevo se rapproche.

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L’écriture ? Un jour à la fois, un mot à la fois, petit à petit. Personne ne m’attend à l’arrivée; je le vis comme un immense privilège.

*Ivo Andric, Le Pont sur la Drina, traduit du serbo-croate par Pascale Delpech

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The hardest is not in reading the opinions of those who have sold their soul to Putin’s Russia, but in knowing how such opinions get to be published. Combined with articles like that of the Washington Post claiming that sources in the “US intelligence community” consider Ukraine will not attain the main objective of its counteroffensive – the recapturing of Melitopol.

Of the first, there is no need for a “conspirationist” mindset once you know who are the owners of mainstream media.

Of the second, all the reader knows for sure is that the journalist has contacts in the “intelligence community” – a most useful term, about the equivalent to “I know people in high places.” (In this instance, one military analyst is quoted by name while “the Office of the Director of National Intelligence declined to comment”. On this basis, you get a knock-out headline that reads “U.S. Intelligence says Ukraine will fail to meet offensive’s key goal“. Punchy and inaccurate, and who will read the rest to assess the evidence ?)

If you have the misfortune of personal knowledge of some of the more insidious ways to shape public opinion through carefully crafted pseudo-leaks, you get the sinking feeling of a glimpse into the way dis-engagement works its way into a narrative.

It’s enough to wake a body at 3 AM.

“Personal experience” meaning what ? Three years working with the U.S. army and the Israeli Airforce; the same number as a ministerial press aid in Québec – two sure-fire methods of losing the last traces of innocence and illusions about the backstage aspects of public information.

A disengagement is something that’s prepared, and declarations by Putin loyalists with access to media are only one of its aspects.

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That said, it’s an uphill battle all the way and for more reasons that I care to think about this morning.

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In the pile of Téléramas I pulled apart this week, I discovered the existence of the extraordinary writer Ivo Andric. I’m currently reading his The Bridge on the Drina, where the inhabitants of the village of Vilsegrad- Muslims, Christians and Jews alike – all prefer ” a senseless life to a senseless death”. I’m at the 19th century mark, so Sarajevo is not far removed.

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Writing ? Day by day, word by word, bit by bit. No one is waiting for me at the arrival gate; I experience this as a huge privilege.

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