
Ai-je vraiment dormi jusqu’à 10 heures, ce matin ? Eh oui, il faut croire que l’épuisement général l’exigeait. Six heures d’écriture sur un thème imposé, suivi de trois heures d’écoute à d’interminables pinaillages au conseil municipal local ont eu raison de mes réserves d’énergie. Le plus épuisant étant le pinaillage en question de celles et ceux qu’on appelle “nos élus locaux”. (Pas les miens, puisque je n’ai pas le droit de vote dans ce pays, mais ceux dont je dois supporter la médiocrité, moi aussi.) Le vieux monde craque de toutes parts, mais nos braves élus locaux n’en ont cure: les minuscules querelles locales sont l’occasion de répéter ad nauseam les obsessions des uns et des autres, tandis qu’à mes côtés un vieux soupirait et répétait ad nauseam lui aussi: “Pauvre France, pauvre France” jusqu’à ce que je change de siège pour ne plus l’entendre.
Bref, on a beau être à bord du Titanic, ça n’est pas une raison pour lâcher une querelle entretenue de père en fils par les habitants de la rue untel de la commune.
Le genre de truc que je trouve extrêmement lassant et qui me rappelle toujours les derniers vers du poème Les Inventeurs de René Char :
…Oui, l’ouragan allait bientôt venir;
Mais cela valait-il la peine que l’on en parlât et qu’on dérangeât l’avenir?
Là où nous sommes, il n’y a pas de crainte urgente
René Char, Les Inventeurs
*
Ces jours-ci, je relis Kolyma de Varlam Chalamov parce que de tous, c’est bien lui qui nous dit de la façon la plus claire possible ce sur quoi repose le pouvoir hérité, de dirigeants en dirigeants, par les dictateurs qui se sont employés à tordre et démolir la conscience humaine sous le knout. Avant cela, j’avais relu les poèmes traduits par André Markowicz dans Le Soleil d’Alexandre, ces poètes de la génération de Pouchkine (et de Pouchkine lui-même) écrasés sur ordre du tsar.
Pas trop rigolo, me dira-t-on. C’est vrai mais, justement, les temps ne sont pas rigolos du tout, je trouve plus utile de le garder bien en tête que de chercher à m’en distraire. De toute façon, les distractions abondent ou, comme le disait le rêve de cette nuit, nous vivons en période de guerre, mais la nourriture y est encore abondante.
À noter: alors que sous Staline, les criminels de droit commun faisaient la loi dans les camps en Sibérie, aujourd’hui, ils font la pluie et le beau temps à la tête de l’Etat; et récemment, quelques trente-deux mille criminels ayant complété leurs six mois de “service” en Ukraine dans la milice Wagner, ont été relâchés pour poursuivre leur mission civilisatrice à l’intérieur de la Russie. L’avenir ne s’annonce pas radieux.
*Varlam Chalamov, Kolyma récits de la vie des camps, Tome I, II et III, traduction Catherine Fournier,Librairie François Maspero, 1980
*
Did I really sleep until 10 AM this morning? Yes, I guess overall exhaustion called for it. Six hours of writing on a given theme, followed by three hours of listening to endless nit-picking at the local municipal council meeting used up all my supplies of energy. The most exhausting being the nit-picking of the ones described as “our own elected representatives”. (Not mine, actually, since I’m not entitled to vote in this country, but I have to put up with their mediocrity like everyone else.) The old world is creaking and splitting apart all over, but our stalwart local reps have no ear for it: teeny-tiny local arguments offer the opportunity to reiterate ad nauseam obsessions passed on from generation to generation, while in a seat next to mine, an old man moaned and groaned “Poor France, poor France…” over and over again, until I moved to another chair to blank him out.
In short, being aboard the Titanic is no reason to drop a dispute that’s been passed on from father to son regarding the grudges held by residents of such and such a street in the town.
It’s the kind of thing I find extremely tiring; it always reminds me of the final verses in René Char’s poem Les Inventeurs (The Inventors) when the poet says that, yes, the storm was soon to arrive, but was that really a reason to disturb the future by talking about it? Where they stood, there was no urgent matter for concern.
*
These days, I’m reading through Varlam Chalamov’s Kolyma again because, of them all, he is truly the one who best conveys on what rests the power inherited by the dictators who have worked at twisting and destroying human conscience under the whip. Prior to this, I had re-read the poems translated by André Markowicz in Le Soleil d’Alexandre (Alexander’s Sun, the name the poet Ossip Mandelstam gave to Pushkin’s era) poems by those around Pushkin (and Pushkin himself) crushed by order of the tsar.
None too cheerful, some will say. True enough, but since the times themselves are none too cheerful, I find more use in keeping my head on straight rather than attempts at distraction. In any event, distractions abound and as the dream said last night, we live in times of war but where food is still abundant.
Noteworthy: while under Stalin, common-law criminals ruled the roost in the Siberian camps, they now do so at the head of the State; and recently, some thirty-two thousand hardened criminals having completed their six-month tour of duty in Ukraine in the Wagner militia have been turned loose to continue their civilising mission inside Russia. The future does not appear promising.