7 avril 2023

Des noms. Des cartes de visite. Certaines évoquent quelques notes d’un timbre de voix, d’autres, l’image floue d’un visage qui passe trop vite, d’autres, rien du tout. 1996, une autre époque, une autre vie auprès de “personnes connues” dont pas une seule doit se souvenir de moi plus que je ne me souviens d’elles et eux. Lorsqu’on fait partie de l’entourage de “personnes connues”, on a plus ou moins le même statut social que les serveurs qui circulent avec les plateaux de petites bouchées dans les cocktails.

Je suis maintenant à une autre époque, ou un autre chapitre dans ma vie. Alors, je récupère les feuilles vierges dans la pochette, et je jette le reste. Puis, je poursuis ma lecture des documents sur la grande grève de Graulhet en 1910, pour y trouver de l’inspiration pour les affiches du 14 avril et du 1er mai. Une autre époque, celle-là aussi, quand une gréviste pouvait dire: “Ordre a été donné par le préfet de resserrer le service d’ordre.Mais les soldats sont nos frères et je ne me fais pas de souci. J’ai confiance en eux :nous savons tous qui sont les exploiteurs et qui sont les exploités.” (Elle déchantera quelques jours plus tard, au départ, elle a dû croire que les soldats refuseraient d’intervenir, comme avaient fait ceux du 17e régiment lors de la révolte vigneronne en Languedoc en 1907.)

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Conversation avec un amie enseignante dans l’une des écoles où je faisais des accompagnements scolaires: elle était au rassemblement en soutien des syndiqués arrêtés aux petites heures du matin à Albi, et emmenés en prison, menottes au poignet. Il s’avère que ce sont des personnes qu’elle et moi connaissons, dont un enseignant dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas de la race des violents. (Il fait partie des trois, arrêtés pour “dégradation d’une ganivelle”. Lui et les autres prévenus sont arrivés de la prison au tribunal dans un vaste déploiement de CRS dans une mise en scène des ‘dangereux terroristes’. C’est à cela que servent les mesures de répression du “terrorisme” par les temps qui courent…)

Et apparemment, les amis du coin qui protestent contre l’abattage des platanes pour la création d’une nième bretelle d’autoroute, sont sous haute surveillance policière alors qu’ils replantent un arbre pour chaque platane tronçonnée. (Ils font partie des affreux zadistes et éco-terroristes qui font éructer le ministre de l’intérieur.)

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Quand on arrive à 76 ans, j’avoue que tout ça a des airs de déjà-vu, comme si toutes les questions dérangeantes enfouies sous les tapis y avaient repris du poil de la bête. (Oui, la bête qui vit sous les tapis, sous les lits, et dans les armoires où l’on garde les squelettes dans les contes pour enfants – je parle des contes avant le grand lessivage ‘simplifiant’ leur langue jusqu’à l’insignifiance.)

Voilà. Donc, la routine habituelle ici, plus une séance de fabrication d’affiches en compagnie de plus jeunes que moi, cet après-midi. Vraiment, on ne se change pas à mon âge, mais c’est surtout pour eux que je le fais, parce que sont eux qui auront à traverser les temps qui viennent.

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Names. Business cards. Some of them evoke a few notes from a voice, others, a blurred image of a face passing by too quickly, others, nothing at all. 1996, another time, another life meeting “inown people” not one of which must remember me any better than I remember them. When you are part of the entourage of “known people”, your social status is more or less the same as that of the waiters circulating with trays of toothsome tidbits at cocktails.

I’m now living in another time, or another chapter of my life. I recuperate the blank pages in the notebook and throw away the rest. And I continue my readings of documents of Graulhet’s Great Strike of 1910, for inspiration for some of the placards on April 14 and May 1st. That was also another time, when a woman striker could say: “The prefect has ordered a tightening of the peace keeping. But the soldiers are our brothers and I’m not worried. I trust them : we all know who are the exploiters and who are the exploited.” (She’ll change her tune a few days later, at first, she must have thought that the soldiers would refuse to intervene as had done those of the 17th Regiment during the wine growers’ rebellion in the Languedoc region in 1907.)

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Conversation with a friend of mine who teaches in one of the schools where I worked as a teacher’s aid : she was at the gathering supporting the union members arrested in the early hours of the morning and taken, handcuffed to jail. It so happens that we know the people involved, including a teacher who is the furthest imaginable from violent. (He is one of the three, arrested for “degrading a picket fence”. Him and the others arrived from the jail to the Tribunal in a vast deployment of riot police for a spectacle of the “dangerous terrorists”. This is the use to which are put measures to repress “terrorism, these days…

And apparently, local friends who are planting a tree for every plane tree cut down to make way for yet another highway access ramp are under tight police surveillance. (They are among those awful Zadists and eco-terrorists causing verbal outbursts from the minister of the interior.)

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When you reach the age of 76, I admit all this has an air of déjà-vu, as if all the troubling questions that had been swept under the rug had found fresh vigor there. (Yes, like the beastie that lives under rugs, under beds, and in the closets where the skeletons are kept in children’s tales – at least, in the tales prior to the great bleaching ‘simplifying’ their language into insignificance.)

Voilà. So the usual routine today, plus a session of placard-making this afternoon with a group of people younger than I. Really, you don’t change at my age, but I’m doing it mainly for them, because they are the ones who will have to live through the times that are coming.

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