
La pluie a cessé. J’ai fait un premier tour du marché avec le tract invitant les gens à la prochaine assemblée citoyenne, et laissé les plus jeunes et vigoureux poursuivre sans moi. Réactions ? Mis à part quelques regards fuyants et deux refus catégoriques (à cause des casseurs, qu’on identifie comme des “gauchistes”), la plupart des gens acceptent le tract avec des commentaires d’impuissance, “vous savez bien qu’il (Macron) va la passer, sa loi. Il est là pour ça, casser les acquis sociaux.” Une sorte de résignation générale face à l’inévitable. Un vieux Portugais commence par me dire : “Quand il n’y a plus d’argent, il faut bien couper” – “Oh, plus d’argent, Monsieur, il en reste toujours assez pour les retraites des sénateurs,” lui dis-je. “Oui, c’est toujours comme ça, dit-il. On n’y peut rien.”
Evidemment, si “on n’y peut rien” pour les retraites, “on n’y peut rien” pour rien. Tout nous dépasse, tout est entre les mains des autres, tout est complot, tout est prétexte à dormir.
À cinquante années de distance, j’ai l’impression de revivre les années ’70 au Québec lorsque Pierre Elliott Trudeau (le père du premier ministre canadien actuel) avait décrété l’imposition de la “Loi sur les mesures de guerre” au Québec, lors de l’enlèvement et l’assassinat du ministre provincial du travail par un groupe s’appelant le Front de libération du Québec (fortement infiltré par la gendarmerie royale du Canada). C’était à la veille des élections municipales à Montréal. Je militais dans un mouvement qui n’avait rien à voir avec ledit FLQ, ayant une répulsion viscérale pour la violence. Nous militions pour des services de garde d’enfants, des cliniques de santé, des coopératives alimentaires, j’écrivais des articles et j’imprimais le bulletin de la Clinique des Citoyens de St-Jacques (un quartier populaire, à l’époque). Mon seul acte “délictueux” fut de retirer une correspondance d’un local utilisé par des têtes brûlées, correspondance qui aurait eu des conséquences désastreuses pour des innocents. Les rues se remplirent de militaires venus des provinces anglophones qui se s’en sont donnés à coeur joie, à s’occuper des “frogs” (grenouilles) et des “French pea soup” (soupe au pois de Français), deux de leurs injures préférées; nos candidats aux élections furent en première ligne des arrestations, j’eu le “plaisir” de subir un interrogatoire des plus désagréables et rempli de menaces d’autant plus terrifiantes qu’elles étaient imprécises, et, il va sans dire, les électeurs votèrent massivement pour le candidat voulu par les gouvernements, et provincial et fédéral, après qu’il eut annoncé que voter pour nos candidats résulterait en “sang sur les marches de l’Hôtel de ville”.
Il suffit de connaître ce genre de répression une fois pour en reconnaître tous les signes après, et ce, à vie. À partir de ce moment, ça n’est plus de gagner qui compte. Ce qui importe, c’est de ne pas s’effondrer devant l’injustice puisque c’est tout ce qu’elle demande pour s’étendre et s’enraciner davantage.
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The rain has stopped. I did a first round on the market with the flyer inviting people to the next citizens’ assembly, et let younger and more vigorous ones continue without me. Reactions ? Apart from a few shifty gazes and two categorical refusals (because of the ‘smashers’ in the demonstrations, identified as “Leftists”), most people accepted the flyer with comments of powerlessness “you know very well that he (Macron) will ram through his bill. That’s what he’s there for, to destroy all the social gains.” A kind of general resignation to the inevitable. An old Portuguese man starts by telling me : “When there’s no money left, you have to make cuts.” – “Oh, Sir, there’s always enough money for the Senators’ pensions”, I say. “Yes, it’s always been like that, he says, there’s nothing we can do about it.”
Of course, if “there’s nothing we can do about” the pensions, there’s “nothing we can do ” about anything. Everything is over our heads, everything is in the hands of others, everything is a plot, everything is an excuse for sleeping.
Fifty years later, I have the feeling of reliving the 70s in Québec when Pierre Elliott Trudeau (the father of Canada’s current Prime Minister) decreed the imposition of the “War Measures Act” in Québec, following the kidnapping and assassination of the provincial Labor minister by a group calling itself the Front de libération du Québec (Quebec Liberation Front, heavily infiltrated by the Royal Canadian Mounted Police). This was on the eve of Montreal’s municipal elections. At the time, I was an activist in a movement that had nothing to do with said FLQ, since I have a visceral repulsion to violence. We worked at establishing daycare centers, health clinics, food coops. I wrote articles and printed up the bulletin for the Citizens’ Clinic in St-Jacques (which was a working class district, at the time)…My sole ‘criminal’ act consisted of removing from a meeting place used by hot heads a correspondence that would have had disastrous consequences for innocents. The streets were filled with soldiers from the English-speaking provinces who had the time of their life dealing with the “frogs” and the “French pea soups”, two of their favorite slurs. Our candidates to the election were in the forefront of the arrests, I had the ‘pleasure’ of being subjected to an interrogation filled with threats that were that much more terrifying in being vague and, it goes without saying, voters were massively in favor of the candidate supported by both the provincial and the federal government after he announced that voting for our candidates would result in “blood on the steps of City Hall”.
You only need to go through this kind of repression once to recognize all the signs later, for your whole life. And then, it’s no longer a question of winning that counts the most. What truly matters is refusing to be associated with that kind of caving in to injustice since that’s all it wants in order to dig in its roots even further.