
Souvent, confrontés à un bouquet de mensonges grossiers émanant de la machine à propagande du Kremlin, les gens s’esclaffent en se disant “mais qui peut croire de telles fabrications ?” Ils ont tort de s’esclaffer, premièrement, parce qu’il y aura des gens pour croire à l’une ou l’autre de ces sornettes – même si elle est contredite par trois autres explications-bidons. Mais aussi parce que cette vaste opération d’enfumage a justement comme but de transformer la “vérité” en une substance malléable et, finalement, dans cette optique, une substance dont la seule définition appartient au plus fort, L’enfumage servant à décourager les opposants qui démontrent (et ils ont raison de le faire) que A + B ne donne AB, alors que la propagande prétend que A + B peut aussi aboutir à W, X, Y ou Z, c’est comme vous voudrez. Les opposants se feront dire que leur version n’est ni plus ni moins crédible que toutes les autres.
La réalité en tant que plate-forme instable que certains s’ingénient à rendre les mouvements aussi saccadés et imprévisibles que possible.
Ce qui ne change rien au fait que A + B = AB.
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Invitation hier après-midi à un concert et des lectures de textes écrits par des femmes d’un atelier d’écriture. Concert d’une jeune chanteuse-compositrice dont les prestations gagnent en assurance à chacune de ses sorties publiques. Quant aux textes d’atelier, ils étaient – comment dire – louables, je suppose; ils s’échelonnaient de la rédaction de type scolaire (sur le thème, par exemple, de: décrivez votre intérieur) à d’autres que je qualifierais d’écriture thérapeutique exigeant un certain courage, certes, mais pas nécessairement un très grand intérêt pour l’auditoire. (Mais je suis sévère, c’est vrai et il est un peu trop tard pour être autrement.)
Cela dit, la lumière de fin de journée sur les briques roses de Gaillac : beauté, sans nul besoin d’explication.
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Alors que les mensonges évoqués au début de cette chronique…
J’ouvre ma copie de Partages 2015-2016 d’André Markowicz*. Au hasard, comme je le fais souvent. Je tombe sur ce passage où il décrit son travail de traduction de Les Démons de Dostoïevsky : “Mille pages de bruit et de fureur, d’intrigues, de haine, de meurtres incompréhensibles, souvent prémonitoires ! …) , et d’éclats magnifiques, bref…comme si Les Démons étaient “a tale full of sound and fury …told by an idiot....” …Un conte plein de bruit et de fureur, raconté par un imbécile.” Signifying nothing“. Comme si Les Démons étaient une espèce de reconstruction de Macbeth, oui, “signifant le rien” (et pas “ne voulant rien dire). Parce que, le rien, dans Les Démons, il est précisément représenté.”
Tout comme il l’est dans les mensonges émanant du Kremlin, notamment.
*André Markowicz, Partages 2015-2016, Les Éditions Mesures 2023
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Retour à l’écriture de Là où les enfants s’amusent. Sorte de polar déjanté, en ce qui concerne les adultes, et autre chose, vraiment pour les enfants en eux-mêmes.
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Often, when confronted by a slew of vulgar lies emanating for the Kremlin’s propaganda machine, people break out laughing, saying “but who could believe such fabrications?” They are wrong to laugh, first of all, because there will be folks to believe in one or another of these idiocies – even it if is contradicted by three other phoney explanations. But also because the purpose of this vast operation of deception is precisely intended as a means of transforming “truth” into a malleable substance and, finally in this perspective, one whose sole definition belongs to the strongest. Deception serving to discourage opponents demonstrating (as they are right to do) that A + B leads to AB, whereas propaganda maintains that A + B can just as easily equate W, X, Y or Z, as you wish.
Reality as an unstable platform that some work in making its movements as jerky and unpredictable as possible.
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Yesterday, I was invited to a concert and public reading by women of a writing workshop. Concert by a young singer-composer gaining more and more self-assurance with each public performance. As for the readings of texts done in the workshop, they were – how shall I say – praise-worthy in themselves, I suppose: they ranged from school-type essays (with a theme, let’s say: describe your home) to what I’d describe as therapeutic writing requiring a certain courage, undoubtedly, but not necessarily terribly interesting for an audience. (But I’m harsh, that’s true, and it’s a bit too late to be any other way.)
That said, the sunlight on the old bricks in Gaillac : beauty, with no need of explanations.
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Whereas the lies evoked at the beginning of this column…
I open my copy of André Markowicz’ Partages 2015-2016. At random as I often do. I come across part of what he wrote about translating Dostoyevsky’s Demons: “A thousand pages of sound and fury, schemes, hatred, incomprehensible murders…often of a premonitory nature !…) and of magnificent outbursts, in short, as if Demons was “a tale full of sound and fury …told by an idiot....” Signifying nothing“. As if Demons were a kind of reconstruction of Macbeth, yes “signifying emptiness” (and not, meaningless). Because the nothing in Demons is represented with precision.
Just as it is in the lies emanating from the Kremlin, notably.
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Back to Where the Children Play in French. From the adults’ point of view, it’s a kind of disjointed tale in the noir mode, and something entirely different for the children themselves.