27 février 2023

Ils ont dix-sept ans. Copains depuis toujours, tous deux inscrits dans un cursus audiovisuel dans leur lycée. Je les ai vus grandir, mais je ne m’attendais ni à leur visite, ni au motif la sous-tendant.

Ils sont arrivés, munis de provisions suffisantes pour un repas de famille. Ils voulaient m’offrir “un repas français” : omelette aux champignons, poêlée de légumes, salade composée, baguette, fromage, le tout préparé et cuisiné par leurs soins… Tout en me parlant d’un projet qu’ils avaient envie de réaliser, si j’étais d’accord. Un projet personnel consistant à m’interviewer en combinant des extraits de mon histoire personnelle avec des lectures de morceaux de mes récits, le tout accompagné des images que cela leur inspirerait.

Inattendu, ça oui. J’ai accepté, bien sûr.

(Ils sont tous les deux internes à leur lycée, l’un d’eux me dit qu’il a une phrase de l’une de mes histoires affichée sur la porte de sa chambre au dortoir. Lorsqu’il avait neuf ans, je l’avais eu dans un atelier de deux jours où il avait composé une histoire illustrée avec des personnages découpées dans une pile de vieille revues. Son copain, lui, était venu me voir de sa propre initiative, vers l’âge de 11 ans, pour des cours d’anglais.)

*

Je pioche et re-pioche dans deux des textes de Jacqueline Risset dans le livre Risset 33 écrits sur Dante*: le 21e – “Celui qui voit en rêvant”: Le noyau obscur de l’expérience, et le 22e : Dantesibylle. Excès et oubli : les feuilles de Sibylle. Au sujet de ces deux vers énigmatiques évoquant la Sibylle de Cumes dans le dernier chant du Paradis. Or, dans l’Enéide, c’est elle qui sert de guide à Énée dans les enfers. Virgile qui servira de guide à Dante jusqu’aux portes du Paradis.

Il était dit que la Sibylle conservait ses oracles, bien rangés, dans son antre. Mais sitôt qu’on en ouvrait la porte, le vent s’engouffrait et dispersait les feuilles, sans que la Sibylle ne cherche à la récupérer et les remettre en ordre.

Les vers la concernant dans le Paradis surviennent alors que la haute vision s’estompe. Risset traduit ainsi :

Tel est celui qui voit en rêvant,

et, le rêve fini, la passion imprimée

reste, et il n’a plus souvenir d’autre chose,

tel je suis à présent, car presque tout cesse

ma vision, et dans mon coeur

coule encore la douceur qui naquit d’elle.

Ainsi la neige se descelle au soleil;

ainsi au vent dans les feuilles légères

se perdait la sentence de Sibylle.

(Paradis, XXXIII, 58-66)

Le texte de ce 22e écrit se termine sur les mots suivants de Jacqueline Risset :” Enigme, stupeur, silence, néant : un champ fascinant se dessine où l’oubli, le rêve, la neige sont, autour de sa figure (la Sibylle), des emblêmes.”

En lisant ce texte, resurgit dans ma mémoire un récit que j’ai écrit en anglais, il y a des années de cela. Un texte intraduisible puisqu’il contient la phrase qu’une enfant a compris (en anglais) de mots prononcés en yiddish. Elle entend: Alice good snail et s’en fait une sorte de formule magique. Alors que les mots qu’elle a entendus sont: Alles gut, schnell.

Je le noterai dans l’original, si je le retrouve.

*Jacqueline Risset, 33 écrits sur Dante, conçu et présenté par Jean-Pierre Ferrini et Sara Svolacchia, Éditions Nous 2021

*

They are seventeen years old. Buddies from way back when, both following courses in audiovisual. I saw them grow up, but never expected their visit nor the reason behind it.

They arrived loaded down with enough supplies for a family meal. They wanted to offer me “a French meal”: mushroom omelet, sauteed mixed vegetable, salad, baguette, cheese; they prepared everything, cooked…While telling me about a project they would like to realize, if I’m willing. A personal project consisting of interviews about my life, combined with excerpts of my readings of pieces of my stories, and the images these would suggest to them.

Unexpected, that’s for sure. But I accepted, of course.

(They are both boarders at their Lycée; one of them tells me he’s pasted a quote from one of my stories on his door at the dorm. Years ago, when he was nine, I’d had him in a two-day workshop where he had put together an illustrated story using cut-out figures out of a pile of old magazines. The other boy showed up at my door one day, when he was 11, seeking English lessons.)

*

I keep on digging through two of the texts in Risset 33 écrits sur Dante : the 21 st “He who sees while dreaming” – the obscure kernel of experience; and the 22nd Dantesibyl : Excess and Forgetting : the Sibyl’s leaves, concerning the enigmatic verses evoking the Sibyl of Cumes in the last Canto of Paradise. It so happens that, in Virgil’s Eneid, it is she who guides Eneas through Hell. The same Virgil who will serve as Dante’s guide up to the gates of heaven, in the Divine Comedy.

It was said of her that the Sibyl kept her oracles in good order inside her lair. But as soon as the door was opened, the wind would rush in and scatter the leaves about, without the Sibyl attempting to gather them up or set them back in order.

In Paradise, the verse concerning her occur as the high vision is fading. And, Dante writes, as the dream dissolves, there remains the sweetness of it in memory, just as the snow melts in the sun, and the wind scatters the Sibyl’s pronouncements noted on light leaves.

The 22nd text ends on the following words by Risset : “Enigma, amazement, silence, void : a fascinating field is evoked in which forgetfulness, dreaming, snow are gathered as emblems around her figure” (that of the Sibyl).

As I read this text, resurfaces the memory of a short tale I wrote in English, years ago. An untranslatable one since it contains a sentence, as understood (in English) of words spoken in Yiddish and that serve as a kind of magic formula for the child. She heard: Alice good snail. When in fact, the words that were spoken were : Alles gut, schnell.

I’ll note down the original if I find it again.

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