26 février 2023

Hier, j’ai dormi de 15h à 19h30, après avoir écrit les onze premiers paragraphes d’un texte intitulé “L’intime“. Je l’ai terminé et traduit entre 20h et 22h, puis j’ai re-dormi jusqu’au matin..Certains textes sont plus épuisants à écrire que d’autres.

Aujourd’hui, mes deux jeunes amis ont décidé de me rendre visite à midi, après le marché, plutôt que mercredi comme prévu initialement.

*

Certains me diront que ce texte est “trop sombre”? Franchement, si tel est le cas, je m’en fous.

« L’intime »

À l’époque, le montant de l’aide sociale pour une femme seule avec enfant était de $164 par mois. Dans son « cas », $80 disparaissait immédiatement pour payer le loyer, les $84 restant devant couvrir tout le reste, pour elle et pour un enfant de 9 mois. Il est vrai que cette somme devait être complétée par « la pension alimentaire » qu’était supposée fournir l’ex-conjoint – somme que le juge avait fixé à …$10 par mois, vu les revenus très modestes de l’individu en question. Somme que l’ex-conjoint ne payait pas, préférant à l’époque consacrer ses maigres ressources à l’achat de stupéfiants diverses et variées.

Quant aux liens avec sa famille, ils avaient été rompus le jour où elle était venue présenter son fiancé, et annoncer son mariage. L’élu de son coeur était d’origine juive, ni croyant, ni pratiquant, mais que sont ces détails pour un paternel catholique de l’école « les juifs ont tué le Christ notre Sauveur ». Interdiction fut faite aux autres membres de la famille d’assister au mariage ou de venir en aide de quelque manière que ce fut à la pestiférée. Reconnaître devant eux la fin peu glorieuse de ces épousailles n’auraient été qu’un motif de réjouissance malsaine pour ses parents; spectacle dont elle préférait se priver. De toute façon, son père avait eu la mauvaise idée de succomber à un infarctus foudroyant et sa mère vivait dans la colère de cette disparition indue de son conjoint, qui semblait, à ses yeux, un terrible manque de savoir -vivre – c’était bien le cas de le dire.

La survie exigeait donc qu’elle aille renouveler la demande d’aide tous les mois, en personne, auprès des services concernés. Après une attente plus ou moins longue, on appelait son numéro et il lui fallait à nouveau refuser le placement de son enfant en famille d’accueil pour lui permettre de « retrouver une place utile sur le marché du travail ».  Elle refusait, sans même savoir que la famille d’accueil aurait été mieux rémunérée qu’elle ne l’était – chercher l’erreur dans ce calcul serait se perdre dans les méandres de la pensée bureaucratique.

Priorité d’attribution des $84 mensuel était évidemment l’alimentation et autres fournitures requises pour l’enfant. Chez le boucher, les os pour la soupe coûtait 50 cents et venaient emballés dans du papier ciré de la boucherie. Les os pour le chien était gratuits et emballés dans une feuille du journal local. Elle choisissait évidemment les os pour le chien et profitait au passage des informations imprimées sur une page récente du journal local. Elle faisait sa lessive dans la baignoire et tous les soirs, s’employait à tendre l’oreille aux affrontements se déroulant dans la ruelle derrière son logement, sa crainte étant que les attaquants munis de chaînes ne fracassent sa fenêtre, accidentellement ou autrement. Toutes lumières éteintes (avant même la coupure de service pour impayés), elle attendait que les bruits à peine étouffés de coups, d’empoignades et d’injures aillent se poursuivre ailleurs sans réveiller l’enfant dont les pleurs auraient pu attirer leur malveillance.

Les journées de sortie étaient ponctuées de séances d’évitement des avances du concierge qui s’estimait un droit de cuissage – droit qu’il insistait pour lui présenter comme une réponse au « besoin d’un homme » qui devait la dévorer – “besoin” qu’aurait dissipé la seule vue de ce personnage bouffi, d’une vulgarité à donner l’envie de vomir.

Du mauvais roman de gare tout ça, me dira-t-on. Malheureusement, ils forment la trame d’existences réelles dont on se garde de parler en public, à moins d’avoir une folle envie de servir d’objet de risées ou d’apitoiements-bidons par les voyeurs, ces amoureux du malheur des autres qui assurent justement le succès des oeuvres dédiées aux larmoiements.

Alors, que dire du souvenir qui lui revenait parfois de la scène grotesque durant laquelle son père, espérant éloigner « le juif » de sa famille si-tant chrétienne lui avait confié que ce fils d’Abraham ne voudrait pas de sa fille comme mère de ses enfants, puisque ses parents avaient dû la faire interner en psychiatrie à l’âge de quinze ans, suite à une tentative de suicide. Il fallait en conclure qu’elle était trop folle, même pour un « juif »? Allez, les sacrifices qu’exige parfois la défense de la seule vraie foi…

(Il serait du plus grand mauvais goût de mentionner les détails du viol que l’infirmier lui fit subir à cet hôpital, parce que, à force, certains ne voudront plus savoir, alors que d’autres commenceront à se dire que, finalement, cette femme avait peut-être une prédisposition pour le malheur ? Un masochisme de naissance, aussi indélébile qu’une tache de vin ? Un don en matière de mauvais choix ? Une attirance pour le rôle de victime ?)

Et oui, bien sûr, il y eut d’autres moments où la charge devint trop lourde, d’autres hospitalisations entre les temps où elle tenait comme une lionne donnant le tout pour son enfant et d’autres où les forces lui manquaient. Moments  que sa fille lui reprocherait plus tard, comme s’ils avaient été preuve de caprice et de mauvaise volonté de sa part. Comme si la vie avait joué un vilain tour à la fille, en lui attribuant une mère sujette à défaillances. Elle en ferait un motif de rupture plus tard, en ré-inventant cette femme à l’aune de ses griefs et ressentiments.

Tenir. Tenir. Oui, parfois, la prise se relâchait, comme des doigts ne parvenant plus à s’agripper à la falaise. Elle sombrait, s’en voulait de sombrer, voulait mourir, mais ne pouvait pas se le permettre, à cause de l’enfant, justement. 

Jusqu’au moment de ce rêve d’un personnage vivant à l’apparence étrange, copie conforme de l’Angelus Novus,  l’ange nouveau,  du peintre Paul Klee. Angelus venait lui dire que, vraiment, elle n’avait pas besoin de se fatiguer à vouloir mourir. La chose était prévue et il reviendrait lui-même, le lui signifier en temps voulu. Elle avait suffisamment à gérer comme ça, ajoutait-il. Il assurait la mort pour tous, et il ne l’oublierait pas, promis-juré.  

Etrangement, ce rêve lui procura un énorme soulagement. Il y avait donc un souci en moins à gérer, entre les paiements de traites, les cours de ballet pour la Miss. Mourir ne relevait pas de ses responsabilités. Sans y trouver un motif de réjouissance, elle en fut tout de même bien contente, pardi. 

Pour les gens qui ne la connaissaient pas intimement – ce qui était exclus de toute façon, y compris pour les amants de passage – elle ne donnait aucunement l’impression d’une personne soumise à la pression de failles intérieures. Au contraire, on la trouvait positive, enjouée; il suffisait qu’on frappe à sa porte avec une demande d’aide, et l’effet était automatique. Aussitôt, oui, bien sûr, elle était disponible pour le coup de main. 

Mais pour maintenir cette barque à flot, les dimanches lui étaient essentiels. Les dimanches où la cour avait décrété que le père avait le droit de sortir sa fille. Alors, la femme se réfugiait dans un coin de sa chambre. Accroupie, front contre la paroi, elle restait de longs moments à laisser les murs soutenir la charge et de son corps, et de sa vie.

Des années et des années plus tard, dans une autre époque où le dévoilement de certains morceaux de l’intime deviendrait de plus en plus courant, elle lirait le récit d’autres femmes seules avec enfants, d’autres représentantes de la grande armée de silencieuses que les bien-pensants méprisaient pour leur incapacité  à produire des miracles, jour après jour, nuit après nuit. D’autres femmes, comme elle, avec le sentiment d’être des batteries laissées à se décharger sans que personne ne veille à les reconnecter, de temps à autre. 

Ces femmes espéraient-elles des miracles ? Non. Un peu de considération, certes et, parfois, le soulagement procuré par une écoute sincère, amicale, sans reproches et sans faux apitoiement. Une écoute humaine, en somme, avant le retour de l’Angelus Novus venu tenir sa promesse. 

*

Yesterday, I slept from 3 to 7:30 PM after writing the eleven first chapters of a text titled “Intimacy”. I completed and translated it between 8 and 10 PM, then I slept again until morning.Some texts are more draining to write than others.

Today, my two young friends have decided to come for a visit at noon, after the market, rather than on Wednesday as initially planned.

*

Some will maybe find this text “too dark”? Frankly, if that’s the case, I couldn’t care less.

« Intimacy »

In those days, the amount of social aid pour a single mother was of $164 per month.  In her ’case’, $80 disappeared immediately to pay the rent, the remaining $84 having to cover all the rest, for her and for a nine-month old child. True, that amount was supposed to be augmented by the « child support alimony » by the ex – an amount of …$10  per month imposed by the court, considering the very modest means of the individual in question. Sum the ex did not pay, preferring at the time to put his meager resources into the purchase of diverse and varied products leading to stupefaction. 

As for links with her family, they had been severed on the day when she had come to introduce her fiancé and announce her marriage. Her loved one was of Jewish origin, neither a believer, nor a practicing one, but what were such details for a Catholic father of the school « the Jews killed Christ our Saviour ». Prohibition was laid on the other family members to attend the wedding, or to help in any way the banished one.  Acknowledging the inglorious end of the relationship in front of them would have pleased them too much, and she didn’t care to give them that satisfaction. Besides, her father had had the bad idea of dying from a brutal heart failure and her mother lived in the anger caused by this unexpected disappearance of her spouse that seemed, in her eyes, to have shown a terrible lack of manners – in the most literal sense. 

Survival thus required that this woman go seek aid every month, in person, at the services designed for this purpose. After a longer or shorter waiting period, her number was called up and, once again, she had to refuse the placement of her child in a foster home, thus allowing for « her return to a useful activity on the labor market ». She refused, without even knowing that the foster home would have ben better paid than she was – seeking the error in this system would be wasting one’s time in the meanderings of bureaucratic thought.   

Food and other supplies for the child were of course the priority for the monthly $84 allowance. At the butcher shop, soup bones cost 50 cents and came wrapped in waxed butcher’s paper. Bones for the dog were free and wrapped in a sheet of the local paper.  Obviously, she always chose bones for the dog and had the added benefit of the informationn printed on a recent page of the local newspaper.  She did her laundry in the bath tub and spent her evenings with her ears out to the fights occurring in the alleyway behind her apartment, her fear being that the attackers shatter her window with their chains, whether accidentally or otherwise. All lights out (even before the power was cut off for non-payment) she waited for the muffled sounds of punches, grapplings and insults to move on to another place without waking the child whose cries might have attracted malevolent attention.   

On the days when she went out, she had to develop avoidance techniques with the landlord/superintendent who considered he had some kind of droit de seigneur over her – a right he insisted on presenting as his response to « her need of a man » that must be plaguing her – a « need » that would have vanished at the sight of this bloated belcher, whose vulgarity was enough to make you want to throw up.

 All this is low-grade fodder for train station literature, some will say. Unfortunately, they form the warp and woof of real lives no one talks about, unless pushed by a crazy wish to be laughed at or the recipient of phony sympathy by voyeurs, those lovers of of other people’s tragedies, and who are precisely the ones making a success out of works dedicated to whimperings.

So what would they say about the grotesque scene that sometimes came back to her when her father, hoping to move « the Jew » away from his oh-so Christian family, had confided to this son of Abraham that he would not want his daughter as the mother of his children, since her parents had been forced to placed her in a psychiatric ward after a suicide attempt at age fiftenn. From which one was to conclude she was too crazy even for a « Jew »? Ah, the sacrifices required sometimes in defence of the only true faith… 

(It would be perfectly unseemly to then mention details of the rape to which she was subjected by the nurse’s aid at the hospital, because, in the end, some will no longer want to know, while others will start to tell themselves that, finally, this woman perhaps had a predisposition for misery ? A native masochism as indelible as a birth mark? A gift for bad choices ? An attraction to the role of victim?)  

And yes, of course, there were other moments when the load became too heavy to bear, other times spent in hospitals in between the times when she held on like a lionness for the sake of her child, and others when the strength simply gave out. Moments her daughter would hold against her later, as if they were evidence of capriciousness or of a lack of will power on her part. As if life had played a lousy trick on the girl, by giving her a mother subject to malfunctions. This would become a reason for breaking off communications later, while re-inventing this woman in the shape of her grievances and resentments.  

Holding on. Holding on. Yes, sometimes, the grip loosened, like those of fingers no longer capable of holding on to the cliffside. She would go under, would hate herself for going under, would want to die, but couldn’t, precisely because of the child.  

Up until the day of that dream where a living presence showed up, with the odd appearance, a carbon copy of the Angelus Novus, the new angel, by the painter Paul Klee. Angelus had come to tell her that, really, she didn’t need to bother herself about wanting to die. The matter was already provisioned for and he would come back in person to signify its arrival in due time. She had enough to attend to already, he added. He took care of death for everyone, he would not forget her, and that was a promise.  

Strangely, this dream brought her a tremendous amount of relief. There was then one less thing to manage, besides paying the bills and the ballet classes for the Miss. Dying was not one of her responsibilities. Without finding in this thought reasons for rejoicing, she was very pleased about it anyway, by gum.  

For the people who did not know her intimately – which was excluded anyway, including for occasional lovers – she did not give off the impression of a person subjected to the pressures of inner flaws or fault lines. Quite the opposite, people thought of her as a positive, playful personality; you only needed to knock on her door with a request for help, and her response was automatic. Immediately, yes, of course, she was available to lend a helping hand.  

But in order to keep this boat afloat, Sundays were essential for her. Sundays when the court order had decreed that the father had the right to take out his daughter. Then, the woman would take refuge in a corner of her room. Crouched down, her forehead against the wall, she would remain for long periods of time, letting the walls bear up the load, both of her body and of her life. 

Years and years later, in another time when the unveiling of certains pieces of intimacy would become common practice, she would read the tales of other single mothers, of other representatives from the great army of the silent ones the self-righteous despised for their inability at producing miracles, day after day, night after night. Other women like her, with the feeling of being batteries left to leak out their charge of energy with no one taking the time to reconnect them, from time to time.  

Were those women expecting miracles ? No. A bit of consideration, for sure, the relief provided by sincere, friendly listening without blame and without false pity. A human listening, in short, prior to the return of Angelus Novus come to keep his promise.  

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