17 janvier 2023

Oui, les pauses essentielles. Essentielles pour éviter de sombrer sous le poids des horreurs. Mais les humains sont doués quand il s’agit de remplacer les horreurs réelles par des inventions et des distractions. Et même, en évitant de nommer des faits précis et en s’en tenant à des mots convenus – exactions, horreurs… – d’éviter d’intervenir pour que les horreurs cessent.

Hier, parmi les horreurs relatées par des survivants en Ukraine, celle-ci :

Onze vieilles personnes, juives, détenues dans une cave dans l’opération de « dénazification » ordonnée par le Kremlin. Le soldat russe qui apporte la gamelle de soupe baisse culotte et chie dans la gamelle pour marquer tout son mépris envers ses prisonniers.

Cet être profondément taré s’est-il vanté de son « exploit »auprès des autres conscrits? A-t-il répété ce geste ailleurs ? Ajouté d’autres abjections à celle-là pour le plaisir (car indubitablement, un humain ne s’abaisse pas ainsi s’il n’y trouve pas une forme de plaisir aussi dévoyée soit-elle.) De plus, il ne s’y risque pas à moins de se considérer le droit de chier, littéralement, sur toute forme de respect humain imaginable, y compris le sien. En posant des gestes qui resteront non seulement impunis mais couverts par ses supérieurs, occupés qu’ils sont à perpétrer leurs propres exactions sous le haut commandement du régime pourri jusqu’à la moelle qui préside aux destinées de la Fédération de Russie. 

Hier soir, dans L’Idiot, j’en étais au passage de la soirée chez Nastassia Filipovna, lorsque Ferdytchenko propose le ’jeu’ où chacun doit révéler sa pire bassesse. Et j’ai eu l’impression que la Russie actuelle était entre les mains de petits et de grands Ferdytchenko décrétant le règne de la bassesse sous dispense, à l’encontre de tout ce que le régime désigne comme cible. Eteinte des feux de la conscience, abjections à volonté. 

Nos dirigeants savent ces choses. Ils en savent probablement encore plus que nous. Tout comme les dirigeants étaient au courant des camps d’extermination dans la 2e guerre mondiale; au courant des massacres et des génocides perpétrés depuis. 

Quelle est donc la « valeur supérieure » qui leur permet de passer outre à ces atteintes aux fondements même de ce à quoi aspire tout être humain dont la conscience fonctionne encore ? Cette conscience de l’autre comme partie essentielle de soi ? Cette conscience qui avertit qu’en détruisant l’autre, c’est soi-même qu’on condamne à l’abjection ?

Cet homme qui s’est permis de déféquer dans la soupe de ses prisonniers (et qui sait quelles autres turpitudes il a commises), s’il est ni jugé, ni tué au combat, n’est plus qu’une autre âme damnée, vouée à la haine sans recours, de lui-même et de tout ce qui l’entoure, agissant comme grenade humaine contre ses semblables. Combien sont-ils ainsi, détruits par le régime les propulsant toujours plus loin dans l’immonde ? La « Sainte Mère Russie » s’affirmant au-dessus des lois, quelles qu’elles soient ? La voilà. Il n’y a rien à négocier avec elle.

*

Doucement, la révision avance. Comme personne n’attend le texte à l’arrivée, je vis avec lui, avec le sentiment d’accompagner cette jeune femme qui cherche un sens à donner à ce qu’elle a vécu. tixo tixo (en russe), léat léat (en hébreu), slowly slowly (en anglais), doucement, tout doucement, certaines plaies ne se soignent que doucement.

*

Yes, occasional pauses are essential. Essential in order not to collapse under the weight of the horrors. But humans are gifted when it comes to replacing real horrors with inventions or distractions. And even, by avoiding naming specific facts and sticking to the conventional words – exactions, horrors…- avoiding interventions to make the horrors stop.

Yesterday, among the horrors related by survivors in Ukraine, the following :

Eleven elderly people – Jewish – detained in a basement during the “denazification operation” ordered by the Kremlin. The Russian soldier bringing them the container of soup pulls down his pants and shits in the soup to signal his contempt for his prisoners.

Did this profoundly flawed being boast of his “exploit” with other soldiers ? Did he repeat this act elsewhere? Add other abjections to that one for the pleasure of it (because, undoubtedly, a human does not fall so low if he does not find some kind of pleasure in it, no matter how depraved). Moreover, he does not take the risk of doing so unless he considers he has the right to shit, literally, on any imaginable form of human self-respect, including his own. By committing actions that will remain not only unpunished but that will be covered over by his superiors, busy themselves in perpetrating their own exactions under the high command of the rotten-to-the-core regime presiding over the destinies of the Federation of Russia.

Last night, in The Idiot, I was at the section of the evening at Nastassia Filipovna’s, when Ferdytchenko suggests the “game” where everyone must reveal his worst vile action. And I felt as if the current Russia was in the hands of small and big Ferdytchenkos, decreeing the reign of vileness with dispensation, against all that the regime designated as a target. Lights out on conscience, vileness at will.

Our leaders know these things. They probably know more than we do. Just as the leaders were aware of the extermination camps in the 2nd world war; aware of the massacres and genocides perpetrated since then.

What then is the “overriding value” allowing them to gloss over these attacks on the very foundations of what every human being aspires, when his conscience is still operative? This awareness of the other as an essential part of one’s self? That conscience warning that the destruction of the other condemns one’s self to abjection?

This man who allowed himself to shit in his prisoners’ soup (and who knows what other turpitudes he committed), if he does not stand accused, if he is not killed in combat, is nothing but another damned soul condemned to hatred without recourse, hatred of himself and of everything that surrounds him, behaving like a human grenade against his fellow humans. How many are there like him, destroyed by the regime pushing them ever further into filth? “Holy Mother Russia” declaring itself above all laws, no matter what they may be? There it is. There is nothing to negotiate with it.

*

The revision moves along slowly. Since no one is waiting for the text once it’s done, I live with it, with the feeling of accompanying this young woman searching for meaning in what she has experienced. Tixo tixo (in Russian), lay-at lay-at (in Hebrew), slowly slowly, doucement (gently) ever so gently goes the treatment of some wounds.

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