
Ça peut sembler stupide comme observation mais voilà ; plus le climat social et politique se détériore et plus il devient difficile de respirer. Oui, bien sûr, on prend toujours des goulées d’air, sinon on ne serait plus dans le monde du vivant. Mais respirer, vraiment ? Respirer comme si les poumons devenaient des ailes, des voiles qui nous soulevaient vers le bien-être d’un regard clair et même d’un sourire inconscient devant…devant la vue d’un oiseau ou une nouvelle pousse sur une plante qui se languissait. Respirer.
Sans rapport avec ce qui précède, peut-être, mais hier soir j’ai lu une collection de nouvelles* de Clarice Lispector, auteure que je n’avais jamais lue avant. J’ai bien aimé la façon dont son regard se pose juste à côté de ce qui semblerait évident. Le ‘dialogue’ entre une mère et son enfant dans Mange, mon fils, mange, ou Le petit garçon dessiné à la plume avec son monde à la hauteur de ce petit garçon qui ne tient pas encore longtemps en position debout. Le petit insecte vert qu’on appelle esperança en Amérique latine.
Les interstices, en somme, là où se niche souvent ce qui permet de supporter tout le lourd, le difficile, le désespérant.
Comme ce moment dans la révision où il me faut traverser du lourd, justement et vraiment, je n’en ai pas envie; je me cherche des excuses pour ne pas le faire. Quant aux informations, elles donnent envie soit de hurler, soit de s’enfoncer au plus profond sous les couvertures, loin des déferlantes de cruauté et de bêtise débilitante.
Respirer. Hier, au cirque, j’ai sollicité des contributions à la somme de j’envoie à Kharkiv vers le 15 du mois. Personne n’est riche dans les parages, mais ça rajoutera 14€ de plus à l’envoi. Ce ne sont jamais des mille et des cent mais les sommes contribuent aux actions de la personne qui les reçoit (entre autres, en décembre, il a ‘blindé’ une camionnette qui sert à livrer le pain dans les villages isolés sur le front. Je parie qu’avec ses plaques métalliques épaisses, le véhicule doit rouler à peu près à 15 km/heure, mais le pain et le boulanger se rendent à destination avec un risque moindre qu’avant.)
Respirer.
Respirer. Qu’est-ce qu’il est bon de respirer.
(En passant : la pâmoison du jour – enfin, de la matinée – est au sujet de la tenue kitchissime de la candidate ukrainienne au titre tout aussi kitchissime de Miss Univers, vêtue d’un ensemble supposé représenter la victoire ailée, je suppose, avec ailes déployées aux couleurs de l’Ukraine, épée et tout le toutim de l’excessif. “Beauté”, disent-ils. “Sublime,” en rajoute un autre. “Profondément ridicule”, me dis-je à moi-même, à quoi bon en rajouter dans le délire ?)
*Clarice Lispector, Bonheur clandestin, nouvelles traduites du portugais (Brésil) par Jacques et Teresa Thierriot, Claudia Poncioni et Didier Lamaison, éditions Des Femmes Antoinette Fouque, 2017
*
It may seem like a dumb observation, but there you are : the more the social and political climate deteriorate and the harder it becomes to breathe. Yes, of course, you still take in gulps of air or you would no longer be in the world of the living. But breathing, really ? Breathing as if the lungs turned into wings, into sails lifting us toward the wellbeing of a clear gaze and even of an unconscious smile at the sight of… at the sight of a bird or of a new growth on a plant that wasn’t doing well. Breathing.
With no connection with what precedes, perhaps, last night I read a collection of short stories by Clarice Lispector, an author I had never read before. I much enjoyed the way her gaze lands just beside what seems evident. The ‘dialogue” between a mother and her child in Eat, my son, eat or The little boy drawn with a pen with its world at the level of a small boy who isn’t steady on his feet yet. The small green insect called esperança in South America.
The nooks and crannies, basically, where often nestles what makes it possible to bear all the heavy, the hard, the hopeless.
Much like this point in the revision where I must cross the heavy, precisely, and truly, I have no desire to do so, I find excuses to avoid it. As for the news, they either make you want to howl, or to burrow deep under the blankets, far from the surges of cruelty and mind-numbing stupidity.
Breathing. Yesterday at the circus I solicited contributions to the amount I send to Kharkiv around the 15th of the month – nobody is rich around here, I received an additional 14€. I never send a fortune, obviously, but the sums contribute to the actions of the person receiving them (among other things, in December, he ‘armored’ a delivery van used to bring bread to isolated villages along the frontline. I bet that with its heavy metallic plates, the vehicle must move at about 15 km/hr but both the bread and the baker reach their destination with the risks reduced from what they were before.
Breathing.
How good it is to breathe.
(In passing : today’s madness – or at least, this morning’s – concerns the utterly beyond-kitsch get-up of the Ukrainian candidate to the equally utterly kitsch title of Miss Universe, dressed in a costume supposed to represent Ukraine’s winged victory, I suppose, with wings deployed in Ukraine’s colors, a sword and the whole madness of the overblown. “Beauty”, says one. “Sublime” adds another. “Utterly ridiculous” I say to myself because what’s the point in adding to the nonsense ?)