4 octobre 2022

Depuis un bon moment, j’ai l’impression que tous – moi-même y compris – nous espérons retrouver un monde, notre monde, tel qu’il était avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine. Un monde imparfait, bien sûr, mais avec certaines balises et certitudes. Or, ce monde n’est plus et ne reviendra jamais. C’est angoissant, évidemment. Personnellement, chaque nuit mes rêves m’offrent une sorte de répétition générale de “quoi faire” en telle ou telle circonstance. Je ne les considère pas comme des cauchemars; davantage comme des tentatives appréciables de la partie submergée de moi-même qui explore des pistes possibles vers le futur.

Au réveil, ce matin, cette monstruosité de la part de quelqu’un qui se croit tout permis parce qu’il est “l’homme le plus riche du monde”. Apparemment, cela lui donne le droit de proposer de nouveaux “référendums” dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie et de décréter que la Crimée devrait être reconnue possession russe. Pourquoi ? Parce que lui, “l’homme le plus riche du monde” le dit. L’ambassadeur ukrainien pour l’Allemagne lui a répondu avec l’expression vulgaire qui s’imposait.

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Ah, ces deux-là ! La correspondance de 1922 à 1926 entre Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak occupe 615 pages qui vont se lire très doucement. Parce qu’entre les envolées verbales de Marina et explications extrêmement tournées, retournées, détournées de Boris, ça procède comme avec un calèche attelée avec deux chevaux désaccordés; mais qui ne s’en sont pas rendus compte encore. Ça viendra, sans doute, pour l’heure nous sommes en 1924, cet amour qui se devait de rester épistolaire en est à son épanouissement pendant que tous deux poursuivent leur train-train quotidien, à bonne distance; une rencontre au niveau quotidien serait fatale à ce genre de décollage complet dans l’imaginaire.

Et puis, Marina, en voilà une qui , non seulement, n’a pas le moindre doute sur sa valeur en tant que poète, mais qui a un talent avéré pour les débordements verbaux. C’en est presque drôle (mais qu’est-ce qu’elle devait être invivable au quotidien ! Dans sa lettre du 9 mars 1923, elle parle de sa démesure “sauvage” et, si je comprends bien, du fait que pour elle un poème n’atteint pas sa plénitude s’il ne comporte  pas que du ressenti. Ce qu’il faut en comprendre, je ne sais pas parce que je n’ai jamais réussi à “adhérer” à la poésie de Tsvetaeva. Sans doute ne suis-je ni suffisamment sauvage, ni suffisamment “démesurée” ?).

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J’ai cessé de compter le nombre de mes déménagements depuis 1975. Pourtant, je traîne toujours avec moi cette copie du CoEvolution Quarterly  – édition d’été – de cette année-là. En couverture: l’hypothèse Gaïa de Lovelock et Margulis (on me dit que certains chercheurs y reviennent) selon laquelle la terre est un organisme s’auto-régulant par l’utilisation de ses diverses composantes agissant de façon symbiotique. Elle doit bien en arracher dans les conditions actuelles de dérèglement climatique.

C’est aussi l’édition dans laquelle  – année de la création de Microsoft par Bill Gates – une section entière était consacrée aux ordinateurs (certains étaient disponibles en kit à assembler soi-même, façon Ikea.)On en était encore à rêvasser à un monde sur le modèle du Imagine de John Lennon; pas tous, cependant, certains avaient déjà compris qu’ils allaient faire fortune et s’y employaient.

 Menant à un monde dans lequel une poignée de ploutocrates bouffis se considèrent les propriétaires de l’univers.  

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For a good while now, I’ve had the impression that all of us – myself included – have been hoping to make our way back to a world, our world, such as it was before Russia invaded Ukraine. An imperfect world, of course, but one with certains guide posts and certainties. But that world is no more and will never come back. It’s frightening, of course. Personally, every night my dreams offer me a kind of general rehearsal as to “what to do” in this or that circumstance. I don’t consider them to be nightmares; more like appreciable attempts from the submerged part of myself, exploring possible trails into the future. 

Upon waking, this morning, this monstruosity from someone who considers he’s allowed to do and say anything because he is “the richest man in the world”. Apparently, this gives him the right to suggest new “referendums” in the Ukrainian territories annexed by Russia and to decree that Crimea must be acknowledged as a Russian possession. Why? Because him, “the richest man in the world” says so. The Ukrainian ambassador to Germany answered him with the vulgar expression he deserved.

Boy, those two! The correspondence between 1922 and 1926 of Marina Tsvetaeva and Boris Pasternak takes up 615 pages I’ll be reading very slowly. Because, between Marina’s verbal flights and Boris’   words,  thought out, turned over, and turned around yet again, the exchanges proceed as with a cart hitched to two mismatched horses (but who haven’t noticed this yet. That day will come, undoubtedly, for the time being we are in 1924, this love affair that could only be maintained as an epistolary one is in its full flowering, while both maintain their daily grind, at a good distance from each other; a meeting at the daily level would prove fatal to this type of complete flight into the imaginary.  

Plus, not only does Marina have  no doubt whatsoever about her worth as a poet, but she also has an averred talent for verbal outpourings. It’s almost funny, but what a pain she must have been to live with on a daily basis. In her letter dated March 9 1923, she speaks of her ‘savage’ excess and, if I understand correctly, that, for her, a poem does not reach its full development if it does not contain only feelings. I’m not sure what one should make of this, but I’ve never been able to truly “adhere” to Tsvetaeva’s poety. Perhaps I’m not “savage” and “excessive” enough?  

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I’ve stopped counting the number of times I have moved since 1975.  Yet, I still carry with me this copy of the CoEvolution Quarterly – summer edition – of that year. On the cover page: the Gaia Hypothesis by Lovelock and Margulis (I hear some researchers are coming back to it) according to which the earth is a self-regulating organism through the use of its diverse components acting in a symbiotic fashion. It must be having a hell of a time with it, given the current conditions of climactic disruption.  

It was also the edition in which – the year of Microsoft’s creation by  Bill Gates – an entire section was devoted to computers (some were available in do-it-yourself assembly kits, something like Ikea). We were still daydreaming of a world on the model of John Lennon’s Imagine; not all of us, though, some had already understood they would make a fortune and were busy at work raking it in.

Leading to a world in which a handful of bloated ploutocrats consider themselves owners of the universe.

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