1er octobre 2022

À l’époque des mégisseries, la rue où j’habite abritait des usines et des maisons d’ouvriers, plus quelques cafés. Maintenant, les usines ont été démolies pour la plupart; les cafés ont fait faillite à leur tour (ils abritent parfois des squatteurs), et les maisons sont tombées en ruine dans bien des cas. Depuis deux ou trois ans, des Toulousains, des Parisiens et autres “étrangers” en ont racheté quelques-unes qu’ils ont retapées, restaurées, améliorées. On voit rarement leurs propriétaires et lorsqu’on en croise un sur le trottoir, il évite soigneusement de croiser notre regard. On dirait qu’il craint que la pauvreté soit contagieuse par les yeux.

Pendant ce temps, la première ministre ne se départit plus de sa veste rembourrée, comme si nous devions croire que le thermostat à Matignon frôlait le point de congélation. Mais moi, j’en suis encore à la déclaration délirante du président Macron à CNN, l’autre jour, exposant sa théorie sur les décisions catastrophiques de Poutine étant …une conséquence de l’ isolation post Covid-19 du pauvre homme. Le journaliste lui a fait répété pour être certain d’avoir bien compris.

J’allais écrire: “ils nous prennent pour des cons”, mais vraiment, je crois qu’ils ont dépassé ce stade. Ils sont tout à leurs jeux, commandent des sondages et ‘ajustent’ le discours du jour en conséquence de ce qu’ils pensent en comprendre.

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On me dit qu’une chaîne de télé (j’oublie laquelle) avait invité le porte-parole de l’ambassade de Russie à venir réciter le laïus du Kremlin, hier soir. Le Kremlin est en train de violer jusqu’aux derniers principes du droit international, et on invite son représentant à venir vendre ses salades empoisonnées aux heures de grande écoute. Par souci ‘d’objectivité’, je suppose.

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Bref, hier, j’en ai eu bien marre et je suis allée à la seule et unique librairie de la ville où j’ai été à la fois étonnée et désolée de voir une telle quantité de livres ne présentant absolument aucun intérêt. Heureusement, dans la petite section consacrée aux contes, je suis tombée sur Contes d’Asie Mineure* et comme j’allais régler à la caisse, le jeune libraire m’a dit: “Je sais que vous préférez lire les titres dans leur langue d’origine, mais je viens de lire un roman jeunesse qui vous plairait, je crois.” Un roman jeunesse? À voir, dis-je, et pour ce qui est de la traduction, la plupart du temps, la lecture d’un ou de deux paragraphes suffit à me dire si le tout se lit “comme du français”, ou pas. Et je suis partie avec Le Passeur de Lois Lowry** – titre original The Giver.

Que dire? Ce matin, dans sa chronique, André Markowicz donnait sa version d’un poème chinois traduit en anglais par Kenneth Rexroth et dans lequel il est question d’une main tenant une bougie allumée pour maintenir la couleur rouge d’un bégonia durant la nuit.

Or, j’ai commencé à lire Le Passeur, hier soir, où il est question d’une société millimétrée jusqu’au dernier détail, ayant éliminé tout ce qui pouvait être du superflu, y compris la neige, les montagnes,le soleil et autres babioles inutiles. Une seule personne est chargée de maintenir la mémoire de ce qui fut. C’est un enfant de 12 ans qui reçoit la mission de récupérer tous les souvenirs transmis au vieux passeur qui l’a précédé, et l’un des premiers souvenirs qu’il retrouve c’est celui …de la couleur. Et de la couleur rouge, tout d’abord.

Et voilà comment, pendant quelques heures, les idioties de la doudou hivernale rembourrée de la première ministre et les horreurs de la guerre en Ukraine ont reculé, grâce à des “passeurs” réels et inventés.

*Contes d’Asie Mineure recueillis par Callipi Moussaiou-Bouyoukou, narrés et traduits du grec par Blanche Molfessis, Babel, Actes Sud 1996

**Lois Lowry, Le Passeur, traduit par Frédérique Pressman, Medium l’Ecole des loisirs, 2002

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In the days of the tanneries, the street where I live had factories and workers’ homes, plus a few cafés. Now, most of the factories have been demolished; the cafés went bankrupt (some now sheltering squatters), and many of the houses have fallen into ruins. For the past two or three years, people from Toulouse, or Paris, and other “strangers” have bought some of them and restored, renovated and improved them. You rarely see their owners and when you cross paths with one of them on the sidewalk, he is careful to avoid looking at you. It’s as if he feared that poverty were catching through the eyes.

Meanwhile, the Prime Minister doesn’t remove her padded jacket in public anymore, as if we were to believe that the thermostat at Matignon was hovering just above the freezing point. But personally, I’m still digesting the outlandish declaration by President Macron on CNN, the other day, laying out his theory concerning Putin’s catastrophic decisions which he attributed to…a consequence of the poor man’s long isolation post Covid-19…The journalist made him repeat this, to be sure he had understood correctly.

I was going to write: “they take us for a bunch of diots”, but truly, I think they’ve gone beyond that stage. They’re all involved in their games, ordering up opinion surveys in order to ‘adjust’ their sound bites for the day according to what they make of them.

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I’m told that last night, a tv station (I forget which) invited the spokesperson from the Russian embassy to come and recite the Kremlin’s latest bunch of lies. The Kremlin is currently raping every last principle of international law and its representative is invited to come sell its poisoned salads during prime time. As a matter of ‘objectivity’, no doubt.

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In short, yesterday I had enough and went to my town’s one and only bookstore where I was both astonished and sad to see such a quantity of books holding absolutely no interest for me. Luckily, in the small section devoted to tales, I found one of Tales from Asia Minor and as I was paying for it at the cash, the young woman said: “I know you prefer reading titles in their original language, but I’ve just read a novel for young people you would like, I think.” A novel for young people? Let’s see it, I said, and as for translations, I usually know after a paragraph or two if the text reads “as if it were French”, or not. And I left with Lois Lowry’s The Giver, translated in French as Le Passeur.

What can I say? This morning in his column, André Markowicz gave his version of a Chinese poem translated into English by Kenneth Rexroth and in which there is mention of a hand holding a lighted candle, maintaining the color red of a begonia during the night.

And as I began reading Le Passeur, last night, I discovered it was about a society as normed and squared as possible down to the last detail, where everything superfluous has been eliminated, including snow, mountains, sun, and such other useless things. A single person is charged with maintaining the memory of what came before. A twelve-year old child receives the mission of recuperating the memories transmitted to the old man who was his predecessor, and one of the first memories he re-discovers is that of…color. And of the color red, at first.

And this is how, during a few hours, the idiotic stuff about the Prime Minister’s padded winter jacket and the horrors of the war in Ukraine receded, thanks to “givers”, both real and invented.

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