
*comme la rosée au soleil/like dew in the sun
Frustrant ? Évidemment. Je suis comme tout le monde, j’apprécie qu’on m’apprécie 🙂
Mais si les gens ne veulent pas lire ce que j’écris ou ce que je traduis, qu’est-ce que j’y peux ? Rien. Et si dans la tornade constante d’informations – trop souvent invérifiables – les gens se contentent de ‘surfer’ ou de ‘picorer’ – un peu de ci, un peu de ça – dans un système reposant entièrement sur la gratification instantanée, qu’est-ce que j’y peux ? Rien.
Je ne peux qu’assumer ma frustration lorsqu’elle se présente et tenir le cap – notion des plus étranges et bizarres, apparemment, dans un environnement qui se consacre à induire la confusion. Les bouts d’émissions télé de parlotte que je vois ne sont que des concours où celui qui hurle le plus fort, gagne. Personnellement, lorsque je ressens l’envie de hurler, je sais qu’il est temps de prendre du recul, quelques longues et profondes inspirations-expirations, de dire ce que je pense, puis de poursuivre ma route. Ceux et celles dont les yeux et les oreilles sont en accord avec les mêmes vues et tonalités m’entendent, je n’ai aucun souci à me faire à cet égard. Mais vu la cacophonie ambiante…
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Des expériences malheureuses de jeunesse m’ont entièrement guérie du nationalisme (je serais plutôt du genre à chanter avec Georges Brassens “le jour du 14 juillet, je reste dans mon lit douillet“). Aussi l’effet profond qu’a sur moi l’hymne national ukrainien ne manque pas de m’interloquer. Il y a sans doute plusieurs raisons personnelles à cela, mais en plus, la ligne mélodique de l’hymne en question me touche, ainsi que ses paroles et leur concordance avec les événements actuels. Ces ennemis qui disparaîtront “yak rosa na sontsi” (comme la rosée au soleil). Qu’il en soit ainsi.
Et ces liens intangibles avec une présence longtemps disparue, celle d’une certaine Maria Damcheva, qu’ils soient ce qu’ils sont, et qu’ils puissent me nourrir pour la durée de la traversée. Reconnaissance à elle.
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(extrait du chapitre 26 des Contes d’exil)
Ce matin, il m’a semblé qu’on me secouait doucement le pied. Mais quand j’ai ouvert les yeux, il n’y avait personne.
« Nous sommes les rêves des morts » avait dit mère. Tu te souviens?
Oui, l’automne après ton arrivée. Nous cueillions des champignons avec elle. Comme toujours, elle leur parlait, leur demandait qui les envoyait, pourquoi, des choses comme ça. J’avais tellement l’habitude de ce genre de conversations que je n’y prêtais aucune attention. Mais toi, tu lui avais demandé pourquoi elle parlait ainsi à un champignon. Elle t’avait expliqué que c’était un mort qui avait rêvé ce champignon et qu’il fallait savoir quelle sorte de rêve c’était. Si c’était un mauvais rêve, le champignon risquait de nous entraîner avec lui au pays des morts.
« Les morts font des rêves? » avais-tu demandé, étonnée.
Mère t’avait regardée d’un air interloqué. Elle semblait dire « vraiment, n’a-t-on rien appris à cette enfant? ».
« Nous sommes les rêves des morts. Nous, les plantes, les animaux, tout » avait-elle dit. Elle avait repris sa cueillette. Et sa conversation avec les champignons.
Je n’ai jamais pensé à lui demander de qui elle était le rêve.
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Frustrating? Obviously. I’m like everybody else, I appreciate being appreciated 🙂
But if people do not want to read what I write or what I translate, what can I do about it? Nothing. And if in the constant tornado of information – too often unverifiable – people are content with ‘surfing’ or ‘nibbling’ – a bit of this, a bit of that – in a system resting entirely on instant gratification, what can I do about it? Nothing.
I can only bear with my frustration whenever it shows up and stay on course – a most strange and bizarre notion, apparently, in an environment devoted to inducing confusion. The bits of tv ‘talk shows’ I see are contests in he who hollers the loudest, wins. When the urge to holler overtakes me, I know it’s time to step back, take a few long and slow deep breaths; what I consider important to say, I say and then walk on. Those whose eyes and ears are attuned to the same views and tonalities, see and hear me, I have no worries about that.
Unfortunate experiences in my younger years having entirely cured me of nationalism (I would be more of the type of person to sing along with Georges Brassens “on the morning of the national holiday, I snuggle in my comfy bed”). So the profound effect the Ukrainien national anthem has on me is surprising. There are undoubtedly many personal reasons for this but, moreover, the melodic line moves me, as do the words and their appropriateness to current events. Those ennemies that will disappear ‘yak rosa na sontsi ‘, ‘like dew in the sun’. May it be so.
And those intangible links to a long-gone presence, that of one Maria Damcheva, may they be whatever they are and nourish me for the duration of the journey. Gratitude to her.
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(excerpt from chapter 26 of Tales of Exile)
This morning, I had the sensation that someone was gently tweaking my foot. But when I opened my eyes, there was no one.
“We are the dreams of the dead,” mother had said. Do you remember?
Yes, it was in the fall after your arrival. We were gathering mushrooms with her. As always, she was speaking to them, asking them who had sent them, why, that kind of thing. I was so accustomed to this kind of conversation that I no longer paid attention. But you had asked why she was talking to a mushroom. She had explained to you that a dead one had dreamt up this mushroom and you had to find out what kind of dream it was. If it was a bad dream, the mushroom might carry us off with him to the land of the dead.
“The dead have dreams?” you had asked her, astonished.
Mother had given you a perplexed look. She seemed to be saying “really, have they not taught this girl a single thing?”
“We are the dreams of the dead. We, plants, animals, everything,” she had said. She had continued on with her gathering. And her conversation with the mushrooms.
I never thought to ask her whose dream she was.