
Encore une fois, la journée s’ouvre sur l’état de suspension résultant de la plus récente menace de la Russie qui en joue comme un chat ferait d’une souris. La dernière en date des variations sur le thème de la menace: ah, nous craignons des “actions négatives” de la part des ukrainiens, actions qui nous obligeraient à éteindre les réacteurs nucléaires que nous ‘protégeons’. Et le 19 août se transforme en nouvelle attente de ce que l’avenir nous réserve. Cynisme. Nous sommes invités à croire que les “intérêts nationaux supérieurs” de l’empire russe inexistant l’emportent sur les vulgaires considérations humanistes de dégénérés (nous) qui se targuent hypocritement de moralité – moralité, refuge des faibles, de toute façon – du moins dans la “logique” qui prévaut aux décisions du Kremlin.
L’impuissance ? Évidente. À quoi bon même en parler ? À quoi bon protester dans le vide ?
Et bien, personnellement, de la même façon que la vie s’agrippe au rocher nu, je m’agrippe aux mots qui ont du sens, et parmi ceux-là, les mots d’Hannah Arendt : “…l’une des choses les plus remarquables et les plus fascinantes dans la pensée grecque : dès son commencement, c’est-à-dire dès Homère, …la parole a été d’emblée conçue comme une sorte d’action. Contre les coups du destin…l’homme ne peut certes pas se défendre, mais il peut leur faire face par la parole et leur répliquer. Et bien que cette réplique n’aide nullement ni à conjurer le malheur ni à attirer la chance, de telles paroles participent aux événements en tant que tels… La parole est en ce sens une sorte d’action, et la ruine peut devenir un acte si l’on s’y oppose en lui lançant des mots pendant que l’on sombre : c’est sur cette conviction fondamentale que reposent la tragédie grecque et son drame, son action.”*
Bon, cela dit, je ne suis pas une fervente abonnée à la tragédie et il y en a plus que marre des imbéciles se délectant de leur pouvoir de nuisance. Mais tant que je pourrai exprimer mon opposition, je le ferai. Comme dit le canard, enchaîné ou pas: “la liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas”. C’est la même chose pour la liberté d’expression tout court.
(Quand à ceux qui tentent de se consoler sur les réseaux sociaux en se disant “ben voyons, les russes ne sont pas fous, ils ne vont pas s’irradier eux-mêmes”, je signale que le kremlin et ses sbires l’ont déjà fait pour ce qui est des soldats qui ont pataugé dans les terres irradiés de Tchernobyl au début de l’invasion, et que le précieux Poutine a certainement un bunker à faire pâlir les mânes d’Hitler.)
Allez. Vendredi 19 août 2022 sur la planète terre et ses milliards dans une distribution allant des sérieusement chouettes aux débiles irrécupérables. Et que les plus chouettes gagnent, ça sera à l’avantage du plus grand nombre.
*Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? traduction de l’allemand par Carole Widmaier et Muriel Frantz-Widmaier, traduction de l’anglais par Sylvie Taussig, avec l’aide de Cécile Nail, Editions du Seuil, 2014
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Once again, the day opens in the state of suspension resulting from the most recent threat from Russia, playing with it like a cat does with a mouse. The latest variation on the threatening theme: oh, we fear “negative actions” from the Ukrainians, actions that would force us to shut down the nuclear reactors we are ‘protecting’. And August 19 turns into a new period of waiting for whatever the future holds for us. Cynicism. We are invited to believed that “the superior national interests”of the non-existent Russia empire carry the day in front of vulgar and hypocritical humanistic considerations of a bunch of degenerates (us), morality being the shelter of the weak in any event – at least, in the “logic” that prevails in Kremlin decisions.
Powerlessness? Obvious. What’s the point in even talking about it? What’s the point of protesting in the void?
Well, personally, the way life clings to bare rock, I cling to words, meaningful ones, and among them, the following by Hannah Arendt : “…it is one of the most remarkable and fascinating facts of Greek thought that from the very beginning, which means as early as Homer…speech itself was from the start considered a form of action. man cannot defend himself against the blows of fate…but he can resist them in speech and respond to them, and though the response changes nothing, neither turning ill fortune aside not prompting good fortune, such words belong to the event as such…Speech in this sense is a form of our action, and our downfall can become a deed if we hurl words against it even as we perish. Greek tragedy – its drama, its enacted events – is based on this fundamental conviction.”*
Now, that said, I’m not a enthusiastic subscriber to tragedy, and I’m truly fed up with idiots getting their kicks out of their power to harm. But for as long as I can voice my opposition, I will do so. As the duck said, unchained or not: “the freedom of the press only withers away when no use is made of it.” Same applies for the freedom of expression in itself.
(As for those on social media who attempt to console themselves by saying “oh come on, the Russians aren’t crazy, they wouldn’t get themselves irradiated, I point out the Kremlin and its minions have already done so for the soldiers it sent wading through the irradiated soils of Chernobyl at the beginning of the invasion, and that precious little Putin certainly has a bunker to make Hitler’s shadow gaunt with envy.)
So here we go for Friday August 19th on Planet Earth and its cast of billions ranging from the seriously cool to the terminally loco. And may the coolest win, to the greater benefit of most.
*Hannah Arendt, The Promise of Politics, Shocken Books New York 2007