
Non, je ne pleure pas, mais presque. Parce qu’à côté de l’évidence des pires horreurs qui se déroulent présentement et qui en annoncent des pires encore, il y a, juste à côté de chez moi une très gentille voisine qui publie des invitations à “lâcher prise sur le passé et le futur, être à l’écoute de son intuition, accueillir toutes ses émotions, ressentir et exprimer sa gratitude...” et d’autres injonctions semblables.
Hier, à l’invitation de quelqu’un d’autre, j’ai regardé sur Arte tv une série de vidéos intitulée Fake News – la propagande russe pour les débutants . Effarant, non, ce mot est trop faible. Les russes, quelle que soit la chaîne qu’ils choisissent de regarder, n’ont accès qu’au pire du plus abject des théories complotistes au sujet de l’occident dégénéré, dangereux, diabolique, et j’en passe. Un exemple à peine croyable entre tant d’autres: entre promesses de nous anéantir, un commentateur mime son indignation au sujet de bordels (inexistants) où les scandinaves peuvent violer des animaux. Pendant que ses comparses se bidonnent, évidemment, car ils savent bien que leur ‘job’ c’est d’en jeter encore plus et encore plus encore. Ou leur “américain de service” (qui habite en Russie depuis des années) et qui est payé pour aller se faire insulter et menacer par les autres ‘commentateurs’ (avec lesquels il copine quand ils ne sont pas sur les ondes.) Imaginez un monde dans lequel vous n’auriez accès à rien d’autre que de la crétinerie haineuse et immonde; peut-être n’en seriez-vous pas convaincus mais alors, vous seriez dans la triste position du personnage principal dans Nous autres de Zamiatine (qui avait inspiré les dystopies de Huxley et d’Orwell, soit dit en passant.)
Alors, non, je ne pleure pas, mais je vais passer outre à l’invitation de ma gentille voisine de ‘lâcher prise sur le passé et le futur’ parce que cette autre injonction, “d’être pleinement dans le présent‘ exige quand même une attention soutenue à ce qui se trouve à l’extérieur de la bulle, même si elle fait de bien jolis effets iridescents. Et cette attention soutenue implique qu’on tienne compte de ce qui s’est passé déjà et de ce que ça promet pour l’avenir si nous choisissons tous de faire comme si c’était trop horrible pour y penser.
Non, je n’ai pas de réponses. Des questions seulement. Et si je dois “accueillir toutes mes émotions“, disons simplement qu’elles ne sont pas terriblement guillerettes.
Je suppose qu’à l’époque des romains, il y en avait beaucoup à ne pas tenir compte des oies du Capitole qui cancannaient pour donner l’alerte. Avoir eu des iPhone, ils se seraient baladés, les yeux collés sur leur écran. Mais certains y prêtaient attention, quand même. Alors, disons que dans le vacarme ambiant, j’ai tendance à prêter davantage attention aux alertes qu’aux conseils d’endormissement. C’est comme ça.
*
No, I’m not crying, but almost. Because next to evidence of the worst horrors occurring at the moment and serving as announcement to worse yet to come, right beside my place, there lives a very pleasant neighbor who publishes invitations to “let go of the past and of the future, listen to your intuition, greet all your emotions, feel and express your gratitude…” and other such injunctions.
Yesterday, on someone’ else’s invitation, I watched a series of videos on Arte tv, titled Fake News – Russian prpaganda for beginners. Frightening, no, the word is too weak. No matter what station they choose to watch, Russians only have access to the most abject plot theories about the West being degenerate, dangerous, diabolical, and more of the same. One barely believable example among so many others: wedged in between promises to annihilate us, one commentator plays out his indignation about (non-existent) bordellos where Scandinavians can rape animals. While his associates split their sides with laughter because, obviously, they know their job consists of making ever more outlandish claims. Or their “hired American” (who’s been living in Russia for years) and who is paid to show up and be insulted and threatened by the other ‘commentators’ (with whom he chums around when they are not on air.)Imagine a world in which you could have access to nothing other than hateful and disgusting cretinous slime; perhaps you wouldn’t be convinced by it but then, you would be in the sad position of the main character in Zamiatin’s We (which inspired Huxley and Orwell’s dystopias, by the way.)
So, no, I’m not crying. But I’ll pass on my kind neighbor’s invitation to “let go of the past and of the future” because the other injunction of “being fully in the present” does require some close attention to the world outside the bubble – even if it does make the prettiest iridescent effects. And that close attention involves paying heed to what has already happened and what it projects as a future if we all prefer to pretend it’s just too awful to contemplate.
No, I don’t have answers. Questions only. And if I must “greet all my emotions”, let’s just say they are not particularly jolly ones.
I suppose that, in Roman times, there were many who paid no attention to the squawks of alarm from the geese at the Capitol. Had they owned iPhones, they would have walked around with their eyes glued to the screen. But some did pay attention, nonetheless. So let’s say that in the prevailing din, I tend to pay closer attention to the cries of alarm than to sleep-inducing advice. That’s how it goes.