7 août 2022

Infos, désinformations, intox…

Evidemment, il y a d’autres raisons et d’autres moyens d’utiliser les réseaux sociaux – divertissement, échange de photos familiales, (sans parler des pubs, bien sûr, combinant intox et désinformations à elles seules.)

Mais si on les utilise essentiellement comme façon de communiquer des informations qu’on estime importantes dans le climat politique actuelle, le moins qu’on puisse en dire c’est que le ton devient vite hargneux, avec des échanges qui ressemblent davantage à des échaufourrés de rue qu’à des débats raisonnés. Personnellement, dès que le ton monte et qu’on m’interpelle de façon vindicative et/ou grossière (les deux vont souvent ensemble), je refuse les tentatives de relance puisque, de toute évidence, la personne n’est pas du tout intéressée par autre chose que de projeter sa propagande haineuse ou sa collection de noms d’oiseaux.

Mais ils sont fatigants. Vraiment. Comme les nuées de moustiques dans une forêt nordique, affamés de sang, de sang, de sang. La différence, essentielle, étant que les moustiques en ont besoin et les trolls humains ne font que s’en délecter.

Ou alors, amoureux de la paix à tout prix et détestant également les marchands d’armes et l’Amérique, ils et elles font le choix aberrant de soutenir les guerres d’invasion de dictateurs – qu’ils soient russe, turc, chinois, nord-coréen…et j’en passe. La logique ? Ne cherchez pas, elle n’existe pas. Mais elle leur donne beaucoup d’énergie dans leurs attaques contre ceux et celles qui soutiennent l’Ukraine.

Et pourtant. Il est évident que les armes sont détestables. La prolifération monstrueuse d’armes nucléaires aussi, ainsi que la “militarisation” d’installations civiles utilisant l’énergie nucléaire. Mais en faire un motif de reddition devant l’agresseur et qualifier cette reddition de “paix”? C’est le rêveur qui refuse de se réveiller même après qu’on lui arrache son oreiller.(Un titre stupide sur The New York Times du jour: l’auteur Neil Gaiman disant qu’il sait ce qui se passe lorsque nous rêvons : “Chaque nuit, nous fermons les yeux, nous nous endormons et nous devenons fous.” Non, monsieur: chaque nuit, nous fermons nos yeux, nous nous endormons, et nous ne devenons pas fous parce que nous rêvons.)

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Jours étranges. Mélangés au familier, les échos du grand désordre, et des cacophonies qu’il déclenche. Au-dessus de la ville, un ciel bleu, implacable.

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Quelques phrases, tirées de La Supplication de Svetlana Alexietvitch (dans laquelle elle a recueilli des témoignages suite à la catastrophe de Tchernobyl en 1986):

“Chaque centrale nucléaire de de l’ex-URSS disposait d’une copie d’un plan de sauvegarde en cas d’accident. Ce plan secret était conservé dans un coffre.”

-“...je me remémore tout cela et je me demande à quel endroit le fil s’est cassé. En fait, il s’est cassé dès le début…À cause de l’absence de liberté…Nous n’avions plus besoin de la vérité.”

-“Nous avons arrosé le toit et les arbres, et raclé la couche supérieure de terre. Nous avons fauché la fane des pommes de terre, tout le potager, l’herbe dans la cour. Le lendemain, les fiancés sont arrivés, avec des invités et des musiciens. C’était un vrai mariage. Le couple habitait un autre village, mais on les avait persuadés de venir là, pour être filmés. Pour l’histoire. La propagande fonctionnait. Une usine de rêves…Elle continuait à défendre nos mythes, même dans ces circonstances : nous survivrons partout, même sur la terre morte…Ce qui est resté dans ma mémoire de cette période? L’ombre de la démence..La manière dont nous creusions…J’ai noté dans mon journal ce que j’ai compris. Dès les premiers jours, j’ai su à quel point il était facile de devenir poussière…”

“Je veux raconter comment ma grand-mère a fait ses adieux à notre maison. Elle a demandé à mon père de monter du garde-manger un sac de millet et l’a éparpillé dans le jardin : “Pour les oiseaux du Bon Dieu !” Elle a ramassé des oeufs et les a laissés dans la cour : “Pour notre chat et notre chien !” Elle leur a coupé du lard. Elle a vidé tous les sachets de graines: de carottes, de courges, de concombres, et les a dispersées dans le potager : “Qu’elles vivent dans la terre !” Et puis, elle s’est inclinée devant la maison pour la saluer. Elle a salué la remise, puis, elle a fait le tour du jardin pour prendre congé de chaque pommier…” *

*Svetlana Alexievitch, La Supplication dans Oeuvres, Thesaurus Actes Sud 2015

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Déprimant ? Oui, évidemment. Cela veut-il dire que je suis déprimée ? Non, même pas un peu, pas lorsque le temps est si si précieux, il s’agirait d’un luxe, vraiment.

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News, disinformation, intox…

Of course, there are other ways and means of using social networks – entertainment, exchange of photos of family and friends (without mentioning ads, obviously combining both intox and disinformation in themselves.)

But if you use them essentially as way of communicating information you consider important in the current political climate, the least that can be said is that the tone rapidly turns hateful, with exchanges resembling street rumbles more than reasoned debate. Personally, when the tone rises and I’m addressed in a vindicative and rude way (both often go together), I refuse further attempts at pursuing the exchange since, clearly, the person is not in the least bit interested in anything other than in projecting his or her hateful propaganda or a collection of gross terms of disparagement.

They are tiring. Really. Like the swarms of mosquitos in a Northern forest, famished for blood, blood, blood. The essential difference being that mosquitos need it while human trolls only delight in it.

Or else, lovers of peace at all cost and hating in equal measure arms merchants and America, they make the aberrant choice of supporting wars of invasion by dictators – be they Russian, Turkish, Chinese, North-Korean…and so many others. The logic? Don’t look for it, it doesn’t exist.

And yet. It is obvious that weapons are hateful. So is the monstrous proliferation of nuclear weapons, along with the “militarization’ of civilian installations using nuclear power. But turning this into a reason for reddition in front of the aggressor and calling this reddition ‘peace’? This is nothing but the dreamer refusing to wake up even after his pillow is snatched away. (A stupid headline on today’s The New York Times: author Neil Gaiman saying he knows what happens when we dream : “Every night we close our eyes, go to sleep and go mad.” No, sir: every night, we close our eyes, go to sleep and don’t go mad because we dream.)

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Strange days – mixed into the familiar, echos from the great disorder and the cacophonies it sets off. Above the town, a relentlessly blue sky.

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A few sentences drawn from Svetlana Alexievitch’s Supplication (in which she gathered testimonies following the Chernobyl catastrophe in 1986):

-“Every nuclear power station in the former USSR contained a copy of a safety plan in case of accident. This secret plan was kept in a safe.”

…I think back on all that and I ask myself where the thread broke. In fact, it broke right in the beginning…Because of an absence of liberty …We no longer needed the truth.”

“We hosed down the roof and the trees, and scraped away the topsoil. We cut off the leaves on the potato plants, on all the garden, the grass in the yard. The next day, the engaged couple arrived with the guests and the musicians. It was a real wedding. The couple lived in another village, but they had been persuaded to come there, in order to be filmed. For history. Propaganda was working. A factory of dreams…It continued defending our myths, even in these circumstances: we will survive everywhere, even on the dead earth…What remained in my memory of that period? The shadow of madness…The way in which we dug…I’ve noted in my journal what I understood. From the very first days, I knew how easy it was to become dust…”

“I want to tell how my grandmother bade her farewell to our house. She asked my father to bring up a bag of millet from the storeroom and scattered it in the garden: “For God’s birds!” She gathered eggs and put them in the yard: “For our cat and our dog!” She cut up some lard for them. She emptied all the packets of seeds: carrots, squash, cucumbers, and spread them in the vegetable patch: “May they live in the earth”” Then she bowed before the house to salute it. She saluted the shed, then, she walked through the garden to bid farewell to each apple tree…”

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Depressing ? Well yes, obviously. Does that mean I’m depressed? No, not even close, not with time so very very precious, it would amount to a luxury, really.

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