
A force de fréquentations régulières, la personne chargée des prélèvements sanguins au laboratoire et moi échangeons dorénavant d’aimables balivernes pendant la ponction. Hier, il fut question de la sécheresse et de ses effets sur nos jardins respectifs. Sa pelouse est une véritable paillasse, me dit-elle, et mis à part les pissenlits, rien ne résiste. Je mentionne les liserons. Qu’ai-je dit là! “Ne m’en parlez pas! Cette peste ! Et pas moyen de s’en débarrasser !” Ah bon ? Personnellement, j’aime bien le liseron; la façon dont les petites corolles blanches se referment au coucher du soleil. Quand je sors dans le jardin la nuit, elles sont comme les petits cailloux blancs du Petit Poucet qu’un esprit espiègle aurait éparpillé puisque de chemin ramenant vers le passé, il n’y en a pas. (Je veux dire, concrètement. L’imaginaire est un domaine entièrement autre et essentiel pour cette raison même.)
Propos incongrus dans un contexte d’aimables balivernes. Je me suis contentée de répondre: “ah le liseron, c’est du vivace !”
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Bon, dans la foultitude de questions d’ordre pratique qui se bouscule dans ma tête, décision est prise de soumettre à la photocopie le texte d’Une poule avertie en vaut deux en l’état. Vient un moment où on en est plus que marre de se lire et se relire. Les personnages sont ce qu’ils sont; si besoin est, je repasserai un coup de peigne fin sur les coquilles restantes. Temps de passer à autre chose. Je ne sais pas quoi encore. Le vide pendant que la citerne se remplit – oui, même par temps de sécheresse.
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Hier soir, brève lecture et longue réflexion à partir d’un court extrait de la conclusion de The Dawn of Everything* (disponible en français maintenant, je crois). Après ces quelques 500 pages foisonnantes d’exemple d’organisations sociales diverses et variées, les auteurs s’interrogent: “Comment cela s’est-il passé ? Comment en sommes-nous venus à être coincés ? Jusqu’à quel point le sommes-nous vraiment?” Que s’est-il passé pour que la majorité des humains acceptent dorénavant de vivre dans des conditions telles qu’ils ne sont même plus à même de comprendre les trois libertés fondamentales qu’étaient 1) la liberté de déménager ou de se réinstaller dans un autre environnement 2) la liberté de ne pas tenir compte ou de désobéir à des ordres émis par d’autres et 3) la liberté de développer des réalités sociales entièrement nouvelles ou de passer d’une forme à une autre selon les circonstances (exemples tirés de la pratique de certains peuples nomades et sédentaires, selon les saisons.)
Questions plus d’actualité que jamais.
*David Graeber and David Wengrow, The Dawn of Everything – A New History of Humanity, Farrar, Straus and Giroux, New York 2021
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As a result of our frequent meetings, the person responsible for drawing my blood at the lab and I now exchange harmless pleasantries. Yesterday, they involved the effects of the dry spell on our respective gardens. Her lawn is like a straw mattress, she says, and other than dandelions, nothing holds up. I mention bindweed. Oh, what have I just said! “Don’t mention it! A real pest! There’s no way to get rid of it!” Oh? Personally, I rather like bindweed, the way the little white corolla fold in when the sun goes down. When I step out into the garden at night, they look like Tom Thumb’s little white pebbles that a playful spirit would have scattered about, since a road leading back to the past, there is none.(I mean, in concrete terms; imagination being an entirely different matter, and essential for that very reason.)
Totally uncalled for words in a context of harmless pleasantries. So I settled on answering: “ah, bindweed is hardy indeed!”
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Among the multitude of practical matters tumbling through my head, I decide to submit the text of Une poule avertit en vaut deux to photocopying as it now stands. Comes a time when you can’t stand reading your own words over and over again. The characters are what they are; if need be I’ll pick up remaining typos with a fine tooth comb later. Time to move on to something else. The emptiness while the cistern refills – yes, even in dry seasons.
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Last night, brief reading and long reflection based on a short excerpt of the conclusion to The Dawn of Everything (now available in French, I believe). Following on these 500 lavish pages of examples of various and diverse social organizations, the authors ask themselves: “How did it happen? How did we get stuck? And how stuck are we really?” How did humans come to accept living in conditions such that they cannot even comprehend the three freedoms consisting of 1) the freedom to move away or relocate from one’s surroundings; 2) the freedom to ignore or disobey commands issued by others, and 3) the freedom to shape entirely new social realities, or shift back and forth between different ones (as in the practice of certains peoples alternating between seasons of nomadism and of settling).
Questions more pertinent than ever.
*David Graeber and David Wengrow, The Dawn of Everything – A New History of Humanity, Farrar,