Le 22 juillet 2022

Le voisin est vivant, c’est toujours ça de pris. (On ne l’avait pas vu depuis plus d’une semaine, il est vieux, il vit seul, sa voiture a un pneu crevé et il ne répondait pas aux coups de sonnettes. J’ai appelé la mairie, qui m’a dit d’appeler la gendarmerie; les gendarmes sont venus et pendant que l’un d’eux vérifiait mon identité, son collègue criait « c’est bon, il répond ! je monte voir comment ça va. »)

(Mais apparemment, selon le gendarme, la plupart des voitures garées sur cette rue ont un ou des pneus crevés. Je n’avais pas remarqué.)

*

Pour le reste…j’ai parfois l’impression que les zones sans aggressions apparentes vivent dans un état que je qualifierais de ‘tentative de déni’ – car le véritable déni n’est plus possible; les sources d’aggression sont trop nombreuses pour qu’on puisse encore les ignorer. Le déni se déplace vers les explications mensongères, les accusations croisées, les tentatives de ‘noyer le poisson’. Et les querelles à propos de tout et de rien, tentatives d’exutoire à l’angoisse.

Dans pareil contexte, ‘conclure’ un récit imaginaire se terminant en 2016 est un exercice en apparence bien futile; il a au moins le mérite de ne nuire à personne. En exergue, Une poule avertie en vaut deux a le poème suivant de Daniil Harms:

Le tigre dans la rue

Longtemps je me suis demandé

D’où venait ce tigre dans la rue

J’y pensais pensais

Pensais pensais

Pensais pensais

Pensais pensais

Puis un coup de vent est survenu

Et j’oubliai à quoi je pensais

Donc je ne sais toujours pas

D’où venait ce tigre dans la rue

Daniil Harms* (1905-1942)

En Sibérie, le tigre se nomme Amba. C’est aussi le nom du tigre imaginaire dans ce récit.

*Daniil Harms, Poèmes et Proses, traduction, préface et notes d’André Markowicz, editions Mesures 2020

*

Une fois photocopié, ce texte, pas plus que mes autres, je ne l’enverrai à une maison d’édition.

Pourquoi ? Soit parce que les maisons que j’apprécie publie des ouvrages complètement dans un autre style que ce que j’écris; soit parce que les autres publient pour un public qui ne s’intéresse d’aucune manière à mes récits. Ça fait mal au coeur de travailler «pour rien» ? Oui. Mais pour l’avoir vécu, je sais que ça fait encore plus mal de se faire balancer des inepties ou encore des silences plus lourds que les tréfonds de l’indifférence. Alors, d’une certaine façon, j’écris pour mes personnages. Parce que je considère qu’ils ont droit à mon temps et à ma parole pour nourrir la leur. Pour l’heure, l’homme au commerce qui fera la photocopie m’a demandé la permission de lire ce qu’il aura copié et ça devra me suffire pour l’instant.

(Et non, je n’ai aucune intention de me lancer dans l’auto-publication.)

*

The neighbour is alive, that’s one good thing settled. (We hadn’t seen him for over a week, he is old, he lives alone, his car has a flat tire and he didn’t answer the doorbell. I called city hall where I was told to call the gendarmerie; the gendarmes showed up and while one of them checked my identity, his colleague yelled “it’s OK, he’s answering ! I’m going up to see how he is.”)

(But apparently, according to the gendarme, most of the cars parked on this street have flat tires. I hadn’t noticed.)

*

As for the rest…I sometimes get the impression that zones in which aggressions aren’t apparent live in a state I would describe as “attempted denial” – because true denial is no longer possible; the sources of aggression are too numerous to still be ignored. Denial moves into phoney explanations, mutual accusations, attempts at ‘drowning the fish’ as the saying goes in French. And silly quarrels over nothing, in attempts at displacing anxiety.

In such a context, ‘concluding’ an imaginary tale ending in 2016 seems like a most futile exercise; it at least has the advantage of harming no one. I rarely attempt translating a poem; I will in this case. It serves as epigraph to the story called Une poule avertit en vaut deux ( Once Bitten Twice Shy):

The tiger in the street

For the longest time I wondered

where that tiger in the street came from

I thought about it, thought

thought thought

thought thought

thought thought

Then a gust of wind blew up

And I forgot what I was thinking about

So I still don’t know

Where that tiger in the street came from.

Daniil Harms (1905-1942)

In Siberia, the tiger is named Amba. This is also the name of the imaginary tiger in the tale.

Once photocopied, no more than my others, this text will be sent to a publishing house or to an agent.

Why? Either because the publishing houses I like publish works entirely in other styles from what I write; or because the other houses publish for an audience not in the least bit interested in my writing. Working “for nothing” is heartbreaking? Yes. But for having experienced it, I know that it hurts even more to receive idiotic responses or those silences heavier than the lowest rungs of indifference. So, in a way, I write for my characters. Because I consider they have the right to my time and to my words in order to feed their own. If a day ever comes when their words will matter to someone else, so much the better. For the time being, the man at the photocopying shop has asked my permission to read what he’ll copy and that will have to be good enough for now.

(And no, I have no intention of taking up self-publishing.)

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