Le 15 juillet 2022

(Racines gravure en taille douce de Anna Amodei – Roots an intaglio by Anna Amodei)

En boucle dans ma tête, hier soir, propadayèt propadayèt – entendu dans une chansons ? Mon dictionnaire anglais-russe donne propadat pour disparaître.

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Une phrase, prononcée par le personnage “Sa Clarté” dans Requiem de Léonid Andréïev: “Mais la nuit traverse aussi la pierre.” Reprise par “Le Directeur“: “Oui, la nuit traverse aussi la pierre. Dans cette maison jadis, des gens ont vécu et sont morts; ici, là où nous nous tenons, quelqu’un avait sa chambre à coucher. Ensuite, la maison a vieilli et on l’a abandonnée à mourir. En fait, c’était déjà une maison morte et on s’apprêtait à la démolir quand l’argent de Sa Clarté lui a donné une nouvelle vie. À présent, c’est un théâtre.” *

*Léonid Andreïev, Ékatérina Ivanovna suivi de Requiem, traduction d’André Markowicz, éditions Mesures 2021

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(Pourquoi “Sa” Clarté ? La troisième personne du singulier marque une forme additionnelle d’abaissement dans l’échelle des courbettes déployées pour les ‘Grandississimes’. Pour eux, même la politesse d’un “vous” serait une familiarité totalement déplacée.Les didascalies mentionnent que Le Directeur s’exprime avec un respect teinté d’une trace de dérision. “Sa Clarté” porte un masque. Plus loin dans la pièce, il est désigné comme “Le Masqué”. )

La pièce – la dernière d’Andréïv – fut jouée et bien reçue en 1917 à Moscou. Là-dessus, arriva la Révolution. Exit le Requiem d’Andréïv.

Remerciements à André Markowicz pour sa traduction.

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Parade militaire du 14 juillet, la bien-nommée, coûteuse, inutile, ridicule. L’heure n’est pas aux costumes d’opérette.

Suivie de la “rencontre” (mal nommée) du président de la république avec les journalistes. L’homme suintant sa morgue, sa suffisance et son mépris habituels. Droit dans ses bottes, c’est la seule posture dont il est capable. Annonce d’autres durcissements de tout ce qui relève du “social”; seul compte à ses yeux le travail et encore plus de travail, nourrissant la gueule financière dont il est le fidèle serviteur, comme tous les autres pseudo-puissants, frénétiquement à la manoeuvre pour sauver “leur” monde, au prix de tout ce qui bouge.

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Les frappes russes les morts les détruits les blessés les traumatisés

les mots vides vides plus vides que des coquilles vides brisées

oui, la nuit traverse aussi la pierre.

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Anna Amodei est sage-femme. Elle est aussi artiste-graveure et utilise des vestiges métalliques trouvés dans la nature pour réaliser ses oeuvres à la taille-douce. Au premier regard, j’ai confondu la forme de la racine de ginseng avec celle d’un oiseau aquatique plongeant pour sa nourriture.

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Dans mon théâtre intérieur, la dernière image du Requiem d’Andréïev : l’éclairage descend puis disparaît sur les rangées de planchette de bois peintes représentant les spectateurs.

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Last night in a loop, the sound of propadayet propadayet in my head – heard in a song? – my English-Russian dictionary gives the verb propadat meaning to disappear.

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A sentence, spoken by the character “His Clarity” in Leonid Andreyev’s Requiem : “But the night also travels through stone.” Picked up by “The Director“: “Yes, the night also travels through stone. Formerly, people lived and died in this house; here, where we are standing, was someone’s bedroom. Then, the house aged and was left to die. In fact, it was already dead and about to be demolished when “His Clarity’s” money gave it a new life. It is a theater now.”

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(Why “His” Clarity? The third person singular marks an extra rung on the ladder of subservience before the most Grandiose of Grandees. In their case, even the polite plural form of “you” amounts to a totally uncalled for degree of familiarity. The playright called for the words to be said by The Director with a faint touch of derision. “His Clarity” wears a mask. Later in the play, he is designated as The Masked One.)

The play – Andreyev’s last – was staged and well received in 1917 in Moscow. At which point, the Revolution occurred. Exit Andreyev’s Requiem.

With thanks to André Markowicz for his translation.

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July 14th military parade. Aptly named, costly, useless, ridiculous. The time has long passed for operetta costuming.

Followed by the (poorly named) “meeting” between the President of the Republic and journalists. The man exuding his usual haughtiness, smugness and disdain. “Droit dans ses bottes” as the saying goes in French; the stiff upper lip being the only attitude the man is capable of. Further hardening on all “social” issues since the only thing that counts is labor and more labor to feed the financial maw of which he is a faithful servant, like all other pseudo-powerful ones of his ilk, frantically attempting to save “their” world, at the cost of all that lives.

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Russian missile strikes – the dead the destroyed the wounded the traumatized

empty words, empty, emptier than empty broken shells

yes, the night also travels through stone

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Anna Amodei is a midwife. She also works in intaglio engraving and uses found metal remains as the ground for her work. At first glance, I mistook the shape of the ginseng root for that of a water bird diving for its food.

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In my inner theater, the final image in Andreyev’s play: fade-out on the rows of painted wooden planks representing the audience.

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