De lumière et de silence/Of light and silence

Pour la troisième journée de suite, je m’éveille avec le Lacrimosa du Requiem de Mozart qui tourne dans ma tête; si c’est comme hier et le jour précédent, il va tourner toute la journée. La façon laïque pour mon corps de prier, peut-être.

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comment le dire sans passer pour une geignarde ? (et, au fond, pourquoi m’en préoccuper, puisqu’il s’agit justement de ça, ici, de la réception ou de son absence.)

Les plus jeunes n’ont pas connu ces trajets en voiture la nuit, lorsque les ondes sonores se propagent mieux pour une raison que j’ignore, et qu’avec les déplacements de la voiture, la radio capte des bribes d’émissions sur différentes stations. Comme ces trajets étaient souvent dans le sud du Québec, on entendait des bouts d’émissions new yorkaises, par exemple, suivies de couic pouic grich grich et sons stridents avant de capter un bout d’émission de Radio-Canada ou autres. Le chauffeur déplaçait le bouton pour obtenir le signal le plus clair dans toute la profusion que l’on traversait. Je ne sais pas pourquoi mais ce nuage invisible et inaudible d’ondes me fascinait davantage que la captation de l’une d’elles. Et les signaux nous parvenant d’un autre pays avaient quelque chose de magique, une sorte de démenti de la censure religieuse si puissante à l’époque – même si je ne comprenais pas du tout la chose en ces termes, à cet âge. Il y avait ces sons rythmés, enjoués, enlevés, et ces autres, voix monocordes parlant avec les intonations ‘radio-canadiennes’ d’un français dit international, c’est-à-dire parlé nulle part ailleurs que sur ces ondes. Pour moi, les américains, c’était comme les filles protestantes chez-nous – elles avaient le droit de porter des shorts et des blouses sans manches, et nous, pas. Je crois avoir conservé cette vision des Etats-Unis, terre de liberté, jusqu’en novembre de mes dix-sept ans, au moment de l’assassinat de John F. Kennedy.

Depuis, vues de loin comme vues de près, les “terres de liberté” se révèlent être bien autre chose et surtout des terres minées par un égoïsme forcené. On dirait que plus le malheur se répand, plus le refus de le voir est en croissance, parallèlement. Le rapport annuel du Centre Primo Levi parle pour la première fois de séances de soins pour les personnes aidant les réfugiés, personnes qui se trouvent de plus en plus démunies devant le sort fait aux demandeurs d’asile et les limites croissantes posées à leurs interventions. Une banalisation du déni, de l’indifférence et de l’impuissance.

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et le brouillage des ondes – de quelque nature qu’elles soient – ne tue pas que les dauphins dans la Mer Noire où les vrombissements de la guerre rend leurs communications impossibles.

Mais je fais aussi référence ici à l’enquête de Médiapart sur l’opération intox résumé ainsi: ” Une enquête de Mediapart raconte l’une des plus grandes entreprises de manipulation de l’information intervenue en France ces dernières années. Plusieurs sites participatifs, dont Le Club de Mediapart, en ont été victimes. Au cœur de l’histoire : une société privée, Avisa Partners, qui travaille pour le compte d’États étrangers, de multinationales mais aussi d’institutions publiques”. Détruire des réputations, instiller le doute, brouiller les eaux, par de fausses informations publiées sous de fausses identités, ou par l’usage non autorisé de l’identité d’une personne connue. Une goutte de poison ici, une autre là, un filet, un flot…

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Et de façon que je qualifierais d’asociale: l’utilisation des espaces “commentaire” sur les publications des autres, comme prétexte à charabia personnel en guise de faire-valoir et/ou d’attaques féroces, comme si l’anonymat était un synonyme d’amoralité. Ecouter vraiment, être entendue vraiment. Peut-être cela a-t-il toujours été rare, mais il y a des jours où j’ai l’impression de ne même plus pouvoir entendre mon propre diapason intérieur. À ça, il n’y a pas d’autre remède que le silence.

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covid: ça semble reparti pour un autre tour; cas avérés et cas contacts se multiplient dans les parages.

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Je lis et re-re-lis (dorénavant, en français et en russe) le passage suivant dans L’Été de Kari Unksova que je connaîtrai bientôt par coeur:

Une fois qu’il dormira

On pourra ressortir vers le lac

Les pins soupirent

Aspirent la moiteur

Les branches qui traînent sur la route

Ce qui est fatigué dort

Ce qui est cassé dort

Il y a un lynx quelque part

Les oiseaux font silence

Personne

Baignade déserte

Cabines écaillées désertes

Pacifistes sexe obscénités

Les camps de pionniers n’ont plus personne

Tellement immobile

Tellement noire

Aucun reflet

Fracas d’une moto*

avec une insistance spéciale sur

Ce qui est fatigué dort

Ce qui est cassé dort

Et le Lacrimosa qui tourne dans ma tête.

(extrait du poème L’Été de Kari Unksova, dans La Russie l’été, traduction d’André Markowicz, éditions Mesures, 2021

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For the third day in a row, I wake up with the Lacrimosa from Mozart’s Requiem playing in my head. If it’s like yesterday and the day before, it will play all day. My body’s secular way of praying, perhaps.

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how to say this without sounding like a kvetch? (and, really, why worry about it since this is what I’m writing about here, about reception vs its absence.)

Younger ones have not known those night road trips when sound waves propagate better for a reason I ignore, and with the car’s movements, the radio would catch bits and pieces of programming from various stations. As these trips often took place in southern Québec, you could hear bits of programs from New York State, for example, followed by the cooeek pooeek grrrsh grrrsh and high-pitched sounds before tuning into a bit of programming from Radio-Canada or other. The driver would move the dial button around to latch on to the clearest signal in the cloud we were moving through. I don’t know why this profusion of invisible and inaudible sound waves moving through us fascinated me even more than hearing one of them. Plus, the signals reaching us from another country had something magical about them, a kind of refutation of the oh-so powerful religious censorship at the time – even if I did not understand things in those terms at that age. There were those rhythmical, lively, fun-loving sounds and those others, voices speaking in a monocord in “radio-canadian’ French, a so-called international French, meaning one spoken nowhere other than on these airwaves. For me, Americans were like Protestants at home – the girls were allowed to wear shorts and sleeveless blouses, and we weren’t. I think I had that vision of the States, land of the free, up until the November of my seventeenth years, when John F. Kennedy was assassinated.

Since then, seen from afar or from up close, the “lands of freedom” show themselves to be something utterly different and mainly lands corroded by fierce egotism. It’s as if the more misery were spreading, the greater the refusal to see it grew in parallel. The annual report from the Primo Levi mentions for the first time offering treatment for persons helping refugees, who are finding themselves more and more helpless faced with the fate reserved to asylum seekers, and the growing limits put on their interventions. A banalization of denial, indifference and powerlessness.

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The scrambling of waves – of whatever nature they may be – is not only killing off the dolphins in the Black Sea where the rumblings of war render their communications impossible.

But I’m also refering here to the investigation by Médiapart on the intox operation summarized in these terms: “An investigation by Médiapart relates one of the greatest unfolding of information manipulation to have occurred in France in the last few years. Several participatory spaces, such as The Mediapart Club, were its victims. At the heart of the story: a private firm, Avisa Partners, working for foreign States, multinationals but also public institutions.” Destroying reputations, instilling doubt, muddying the waters through paid contributions under false identities. A drop of poison here, a drop of poison there, a trickle, a stream…

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And in what I would call a-social behavior: the use of the “comment” space on other people’s publications, as an excuse for personal show-off yammering and/or vicious attacks, as if anonymity were a synonym for amorality. Truly listening, truly being heard. Perhaps that has always been rare, but there are days when I have the impression I can no longer even hear my own inner tuning fork. To that, silence is the only remedy.

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covid: we seem to be in for a new round; confirmed cases and contacts seem on the upswing in my immediate surroundings.

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I read and read over again (in French and now in Russian also) a section in Kari Unksova’s LÉté (Summer) that I’ll soon know by heart. With special emphasis on the two lines that read

What is tired sleeps

What is broken sleeps

And the Lacrimosa playing in my head.

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